Ils ne sont pas très bons joueurs, à l’UMP. Plus les primaires socialistes s’approchent, plus ils s’énervent. Jean-François Copé, qui fait toujours dans la mesure, parle d’un « gigantesque fichage politique » en préparation et de « parodie d’élection ». Soudain très soucieux du droit des citoyens, il s’inquiète pour les agents municipaux et les présidents d’associations qui bouderaient ces primaires dans les villes sous dictature socialiste, c’est à dire presque toutes en France puisqu’on connaît les brillants résultats de la droite aux dernières élections municipales.
Il est étrange que Copé ne voie pas à quel point les socialistes ont rendu service à la droite en construisant eux-mêmes, ironie suprême, avec une application et une obstination suicidaires le piège à cons qui est en train de se refermer sur eux. On se souvient sans doute que les plus lucides d’entre eux, au moment où DSK était au firmament des sondages, suggéraient mezzo voce que peut-être, étant donné la popularité du président du FMI et néanmoins candidat putatif, qu’il était préférable d’éviter ce parcours du combattant qui laisserait nécessairement des traces.
C’est peu de le dire. Etranger à toute tradition politique française, le principe même des primaires est un formidable aveu d’impuissance pour un parti dépourvu de projet alternatif et dont les militants rêvent de devenir permanents ou élus locaux en s’inscrivant dans le sillage de tel ou tel éléphant.
En théorie, un militant, c’est quelqu’un qui paie sa cotisation afin d’avoir le droit de faire des choses aussi gratifiantes que se lever tôt le dimanche matin pour aller tracter sur des marchés et se coucher tard en semaine pour assister à des réunions pas toujours passionnantes. À l’occasion, c’est aussi présider un bureau de vote installé dans une classe d’école primaire et souvent déserté par les électeurs, ce qui laisse le temps, toutes les deux heures, d’écrire mélancoliquement le taux de participation à la craie sur un tableau noir, et de méditer avec un fort sentiment de déréliction sur la manière dont meurent les démocraties.
Mais s’il fait tout cela, c’est parce qu’il y croit, qu’il est associé, d’une manière ou d’une autre, à l’élaboration d’un programme qu’il veut défendre et qu’il adhère sincèrement à des valeurs, toujours prêt à mouiller sa chemise pour elles malgré les inévitables désillusions de ce genre de combat. En tout cas, c’était comme ça avant.
Les primaires, et en particulier celles du PS, achèvent de discréditer cette fonction des partis d’antan, en évacuant les militants au profit des électeurs, tous étant invités à choisir le candidat d’un parti qui n’est pas le leur, aux seules conditions de signer une vague déclaration de principe sur l’adhésion aux valeurs de la gauche et de s’acquitter d’une somme symbolique. Autrement dit, la voix du militant engagé ne vaut pas plus que celle du péquin de l’autre bord qui va décider, si l’envie lui prend, d’influer sur le résultat.
Prenez l’exemple de votre serviteur qui n’est pas socialiste. Il est évident que j’irai voter aux primaires du Parti socialiste et que je le ferai dans l’intérêt de mon propre camp : en l’occurrence le Front de gauche, désormais représenté officiellement par Jean-Luc Mélenchon puisque ce dernier a été investi ce dimanche par 60 % des militants PCF (et seulement les militants PCF…).
Je peux même dire quel sera mon choix, dans ces primaires : celui du socialiste le plus à gauche. Parce que si, par un improbable malheur, Jean-Luc Mélenchon n’accédait pas au second tour, je veux que le report de nos voix sur le socialiste qualifié se fasse le mieux possible. Inutile de vous dire que s’il s’était agi de DSK, il aurait pratiquement fallu, mes camarades et moi, qu’on nous amène au bureau de vote sous la menace d’une arme.
À l’inverse, un partisan de l’UMP aura tout intérêt à voter pour Manuel Valls, par exemple, car il se dira assez justement que Valls est une manière de Sarkozy vaguement teinté de social-libéralisme, qu’il ne mobilisera pas ou peu la gauche autour de son nom et que l’électeur préfère toujours l’original à la copie.
Vraiment, Jean-François Copé n’a aucune raison de s’inquiéter pour ces primaires qui sont, au contraire, un handicap de plus pour la gauche.
En revanche, puisqu’on parle de militants, on peut lui conseiller de s’interroger sur l’hémorragie d’adhérents que connaît sa propre formation, notamment depuis qu’il en a pris la tête. Un défaut de projet, peut-être ?
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