Jean-Marie Le Pen a collectionné les condamnations, quand d’autres sont passés entre les gouttes d’une justice à indignations variables. Certaines de ses « provocations » étaient pourtant prophétiques, rappelle cette tribune libre.
Charles Baudelaire, ce grand réactionnaire, était condamné en 1857 par le procureur Pinard pour « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs » — et condamné à 300 francs d’amende ainsi qu’à la censure des Fleurs du Mal. Pinard, des années plus tard, devait écoper d’un blâme pour avoir caché un poème érotique dans le prie-Dieu d’une veuve (vrai de vrai !) : c’est ce qu’on appelle le curé dans le bordel. Mais revenons à Baudelaire ; sitôt sa condamnation prononcée, le poète recevait une lettre du Monstre sacré du romantisme : Victor Hugo, en exil sur son roc. Ce dernier le félicitait : belle consolation ! « Une des rares décorations que le régime actuel peut accorder, écrivait-il, vous venez de la recevoir. » Et d’ajouter, à propos de l’Empire : « Ce qu’il appelle sa justice vous a condamné au nom de ce qu’il appelle sa morale. » On voit que dans les régimes où la morale (toute subjective, évidemment !) sert de rempart à l’assaut de la vérité, une condamnation, c’est une marque d’honneur. Triste époque ! semblable au règne du Petit, où sous des apparences de liberté on muselle l’opinion à grands coups de « provocation » et d’« incitation », où le courage s’achète à l’amende et au sursis.
Jean-Marie Le Pen n’aura jamais eu la Légion d’honneur : au diable son parcours politique exceptionnel, commencé sous la Quatrième — nul n’est prophète en son pays : il criait trop fort la vérité. Mais il aura gagné quelques jugements qui valent des médailles. Nécrologie oblige, je ne m’arrêterai pas sur les procès les plus embarrassants du patriarche ; seulement sur ceux qui méritent d’être rappelés, parce qu’ils sont des faits d’armes : in memoriam !
En 1984, à L’Heure de vérité (Antenne 2), Jean-Marie Le Pen fustigeait « la véritable invasion qui est en train de se produire dans notre pays, la constitution de villes étrangères ». Pour cette vérité dont on soulignera le caractère prophétique (1984 !) : 3 000 francs d’amende au correctionnel.
En 2003, dans Le Monde, Le Pen déclarait : « Le jour où nous aurons en France, non plus 5 millions mais 25 millions de musulmans, ce sont eux qui commanderont. Et les Français raseront les murs, descendront des trottoirs en baissant les yeux. » Vous en doutez ? Les juges, oui. Pour ces propos, 10 000 euros d’amende au correctionnel.
En 2013, il disait en parlant de la communauté rom qu’elle était « urticante » et « odorante ». Verdict : 5 000 euros d’amende. Si ces propos vous choquent, pensez aux saillies de Chirac sur les immigrés — mais lui, on a oublié de le condamner.
Suprême hommage, on aura dansé sur son cadavre : et le voilà élevé à la hauteur de Richelieu.
C’est quand les hommes qui ont marqué leur temps disparaissent, que l’on mesure le plus durement notre chute. Jean-Marie Le Pen avait déjà été élu député lorsque De Gaulle proclamait la Cinquième République ; il a lutté dans l’arène avec des géants ; et il est mort sous le quinquennat Macron, dans sa patrie qu’il aimait tant et qui s’est peu à peu transformée en territoire à double drapeau, ethniquement fracturé, cette patrie où les Pinards, hystériques, sont devenus légions — cette patrie où La France Insoumise siège à l’Assemblée… Jeanne ! Au secours ?