Aujourd’hui, Houlgate
Dans les années 90, alors que je devais avoir une vingtaine d’années, avec une amie, nous voulions nous faire un week-end balnéaire, pas loin de Paris. Je lui propose Houlgate, dans le Calvados. « C’est suranné », lui ai-je dit. En effet, cette station balnéaire ne bénéficie pas de la légende proustienne de sa voisine Cabourg, ni du prestige de Deauville ou Trouville. Le nom de la commune est typiquement anglo-normand : holl et gate (trou et passage). Même si la légende veut que les Vikings y aient séjourné. Les Normands chérissent discrètement mais obstinément leurs origines vikings.
Houlgate est vendue par l’office du tourisme comme une station balnéaire familiale, loin du tapage m’as-tu-vu et cinématographique de Deauville et son « Chabadabada », ou de la légende littéraire de Trouville : Duras et ses « Roches Noires », Sagan et son Casino où elle misa sur le 8, le 8 août et remporta 8 millions. Il y avait pourtant un modeste casino à Houlgate, où jeune fille, je buvais au bar des Irish Coffee – il ne fait pas chaud, le soir sur la côte normande- avec mon amoureux de l’époque. Le bar, depuis, a été remplacé par d’horribles machines à sous.
Un bond dans la Belle Epoque
L’étymologie du joli mot « suranné », signifie : « ce qui a plus d’un an ». A Houlgate, nous faisons en fait un bond en arrière… jusqu’à la Belle Epoque. En effet, le front de mer est bordé de ces villas cossues, ventrues et rassurantes, comme l’étaient les hommes de 1910. Les femmes d’alors, qui n’avaient pas encore retiré leurs corsets, y déambulaient avec leurs ombrelles et leurs charmants chapeaux encombrants. Nous les imaginons, dans des costumes de bain à rayures, au début de la vogue des bains chez la bourgeoisie fortunée. Me vient en tête, la jolie série – que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître – « Les dames de la côte » de Nina Companeez, dans laquelle la fiévreuse Fanny Ardant fit ses débuts.
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La Belle Epoque, donc, est représentée par le Grand Hôtel, joyau inscrit aux Monuments Historiques depuis 2000. Aujourd’hui, il n’accueille plus de têtes couronnées comme naguère. Le majestueux bâtiment fut découpé en appartements… La spéculation immobilière n’a pas épargnée Houlgate la surannée.
Cependant, je me souviens des hôtels restaurants où subsistent encore quelques bribes de cette Belle Epoque, comme le 1900, avec sa salle à manger bourgeoise aux nappes blanches, et ses chambres, un peu de guingois, au charme fou du temps d’avant. Mais peut-être que cet endroit n’existe même plus. Je préfère garder intact mon souvenir et ne pas vérifier sur Google.
J’ai séjourné à Houlgate, avec mes parents et ma grand-mère, cette femme du Sud pour qui la Manche représentait le comble de l’exotisme. Je l’entends me dire que sa préférence allait cependant à Cabourg : son père lui avait parlé de Proust. Mais la raison pour laquelle cette station du bord de la Manche est si chère à mon coeur, est la suivante : ma fille, à l’âge de trois semaines à peine, y passa ses premières vacances. Elle est née en juillet 2003, et nous avions fui la canicule parisienne. Elle n’en a bien sûr aucun souvenir, et, du haut de ses dix-neuf ans, lève les yeux au ciel lorsque j’évoque ce tendre moment.
C’était… ma belle époque.
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