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Les petits mouchoirs, pourquoi tant de haine?


Les petits mouchoirs, pourquoi tant de haine?

Une certaine critique, c’est bien connu, ne se mouche pas du pied. Elle sait ce qui est bon pour le public, et ce qui mérite au contraire son attention. Elle n’est jamais en reste d’explications sociologiques pour justifier l’engouement que suscitent les films qu’elle démolit, ni en panne de filouteries esthético-philosophiques pour encenser ceux que les spectateurs ignorent. L’Elite du Goût a ses têtes et ses parias, ses lacunes phénoménales, beaucoup de mauvaise foi, pas mal de mauvais goût et une morgue à toute épreuve. Elle délaisse Wenders au moment où il approfondit ses esquisses, découvre Eastwood quand il commence à rabâcher, se moque de Séria, néglige Corneau, oublie Blain ; elle embaume si bien Carax et Rochant qu’elle les enterre avant l’heure, se moquant ensuite comme d’une guigne de leur fantôme qui en remontrerait pourtant à bien des cinéastes en cour.

Bouffées de haine

Même si son audace de supermarché et ses pudeurs de vieille fille n’interrogent plus personne, l’Elite du Goût a parfois de ces bouffées de haine qui en disent long sur ce qui la fonde. De Libération aux Cahiers du cinéma, des Inrockuptibles à Chronicart, ce qu’elle a déversé sur Les petits mouchoirs de Guillaume Canet est avant tout révélateur de ses névroses. S’il fallait une preuve que le brûlot d’Onfray contre Freud fait fausse route, c’est bien cette unanimité riche de lapsus et de dévoilements qui l’apporte ! Ce que ces critiques redoutent, c’est le miroir. Le chroniqueur de Télérama s’empresse ainsi de préciser qu’il est « heureux de ne plus faire partie de cette génération-là », tandis que celui des Inrocks y voit « une certaine idée de l’enfer ».

Ce que les membres de l’Elite du goût ne pardonnent pas à Canet, en somme, c’est de les avoir pris, non pas comme cible – ils auraient fait les beaux joueurs -, mais comme personnages. Bien sûr aucun d’entre eux ne fait profession de critique de cinéma, mais les trentenaires-quadragénaires-quinquagénaires de ce film, ce sont eux ! Il suffit de les entendre se récrier qu’ils n’ont rien à voir là-dedans. « Je le jure, Votre Honneur, rien n’est vrai. » Ah oui ? Ce besoin d’assurer financièrement ses arrières et de se ressourcer dans les pays lointains les plus pauvres possibles, ce n’est pas vous ? Ces tout petits récits de cul et ces grandes histoires d’amour (par textos), non plus ? Ce besoin de festoyer en toutes occasions et d’agrémenter les journées par des objets culturels en vogue, toujours pas ? La sous-culture, la misère sexuelle et la haine de soi du Moderne, ce n’est pas dans les films et les livres que vous nous vantez, ou pire les témoignages et les aveux que vous nous livrez, qu’on la rencontre ? Vous, les membres éminents de la Nouvelle Classe, toujours partants pour « la déconne » et la leçon de morale nécessairement connexes…

Compotes et caleçons

Les Petits mouchoirs est le miroir morne de l’époque. C’est le film de « la génération Loft », à laquelle appartiennent, quel que soit leur âge, ses contempteurs farouches, goguenards ou indignés. Conçu comme un programme de télé-réalité dont il est une sorte de transposition romantique, vraisemblablement aveugle à elle-même, le film de Canet déploie logiquement la dramaturgie faisandée de son entrée en matière qui nous présente les personnages sous l’œil narquois et tendre de leur bourreau, puis leur huis-clos dans une résidence de luxe, où entre recherche de compotes ou de caleçons, des adulescents avec lunettes noires, chapeaux divers, manches qui couvrent les mains, se battent pour avoir le meilleur lit, paressent sur des transats ou des canapés, se disputent avant de se réconcilier, pètent les plombs avant de se confier de grands secrets ; enfin sa conclusion spectaculaire, l’émotion à son comble, feux d’artifice de phrases creuses et de larmes de reconnaissance, embrassades sous les yeux de toute la famille au cimetière.

Dans sa fureur, le Critique moderne s’est contenté de vomir sur le scénario, or ce film, qu’on le veuille ou non, est fait avec les armes du cinéma, toutes les armes d’ailleurs, accumulées sans sélection, utilisées sans précaution, inadaptées, excessives et puis soudain d’une grande justesse, mais à quoi bon en parler ? L’Elite du Goût avait vu du Rohmer dans Loft Story, et elle est incapable de voir du Cassavetes dans Les Petits mouchoirs. Pourtant, l’efficace montage de la séance d’ostéopathie entre Cluzet et Magimel, les brefs panoramiques anodins qui arrêtent brutalement le regard d’un personnage sur un autre, le découpage sensible des voyages en voiture, les variations d’échelle de plans qui font passer dans la même scène du ressassement d’une solitude à l’intimité d’un dialogue, tout cela c’est du cinéma !

Et c’est cela justement qui donne une crédibilité au fil blanc qui coud ensemble ces séquences édifiantes et ces scènes attendues. Le film de Canet, ce n’est pas juste des mots d’auteurs pour bande-annonce et de la fiction consensuelle. Ici, nous avons la faiblesse de croire que ce qui fonctionne, c’est l’intelligence de leur mise en forme. C’est par son utilisation parfois maladroite mais toujours velléitaire de la forme cinématographique que Canet parvient à retenir son spectateur ; grâce aux heurts parfois grossiers entre images léchées et plans imprévus, grâce aux digressions brouillonnes à la limite de l’improvisation contrastant avec un découpage toujours maîtrisé. Elle est là la référence, écrasante comme toutes les références, au Cassavetes de Husbands



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Ludovic Maubreuil est né en mai 1968. Hôte de diverses revues (Eléments, La Revue du Cinéma, Le Magazine des Livres), il collabore en outre au site collectif Kinok (www.kinok.fr). Il est l'auteur de Bréviaire de cinéphilie dissidente (Alexipharmaque, 2009)

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