Leur courage et leur dévouement ont été applaudis pendant les grandes vagues de Covid : les soignants étaient en première ligne dans des hôpitaux sous-équipés. Parmi ces hommes et ces femmes, certains ont refusé, par peur ou conviction, de se faire vacciner. Ils le paient au prix fort.
Licenciée car non-vaccinée
Sonia, 42 ans. Mère célibataire de trois enfants, elle ne touche pas de pension alimentaire et ne pouvait compter, jusqu’au mois dernier, que sur son salaire de 1 850 euros. Aujourd’hui aidée financièrement par des amis et des parents, cette ex-aide-soignante aux urgences du centre hospitalier intercommunal Meulan-Les Mureaux (CHIMM) assume son choix. Elle a préféré être suspendue (comme 80 autres personnes de l’établissement), puis licenciée plutôt que d’être vaccinée. « Je ne suis pas complotiste mais réaliste, j’ai les pieds sur terre. Pas besoin de tutelle du gouvernement. On n’est pas sous-développé du bulbe, on est des professionnels de santé ! D’ailleurs, mon carnet vaccinal est à jour. Je ne suis pas une antivax, je suis une anti-injection expérimentale ! ».
Sonia a de nombreux collègues qui, pour ces raisons, se sont fait faire de faux passes afin de poursuivre leur activité. D’autres, comme elle, « ont choisi d’assumer leur décision sans faux-semblants pour ne pas entrer dans les statistiques. Je ne veux pas être une statistique ! J’ai eu deux fois le Covid, en mars 2020 et en décembre 2021, mais je n’ai même pas téléchargé le passe de la SI-DEP. Je ne veux pas brandir un passe, tel un sésame, pour aller où bon me semble. Le passe ne prouve pas qu’on est en bonne santé. Il y a dans nos services des patients en stade terminal qui ont un passe valide. »
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Sa hiérarchie n’a pas apprécié son côté grande gueule et ses prises de position publique. Dès le début de la pandémie, Sonia a organisé des rassemblements devant son hôpital pour dénoncer des conditions de travail indignes. « Ça n’a pas plu. Après un arrêt pour maladie professionnelle, mon syndicat [CGT] m’a dénoncée auprès de la direction pour des vacations faites en 2020. J’ai été licenciée pour “accumulation d’emplois”. Pour payer mon loyer et élever mes enfants, j’étais obligée de travailler plus. J’étais inscrite au sein de mon établissement sur la liste des volontaires qui veulent effectuer des heures supplémentaires, mais ils préfèrent appeler des vacataires plutôt que des membres de l’hôpital ! J’ai donc dû faire des vacations dans d’autres structures médicalisées. » Son syndicat n’a pas assisté à la commission disciplinaire qui l’a licenciée fin novembre. Elle cherche, depuis, un emploi en phase avec sa vocation de soignant mais, même en travailleur indépendant, lorsqu’on n’est pas vacciné, c’est mission impossible.
Vacciné contre son gré
Rachid est aide médico-psychologique dans un hôpital des Yvelines. Seul avec sa mère handicapée à charge, il s’est résigné à se faire « injecter », mais milite toujours contre cette obligation en manifestant, chaque semaine, avec le collectif Soignants unis. Il en est devenu le « visage ».
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L’indifférence médiatique et politique qui entoure leur mouvement alimente une amertume doublée de colère : « Personne n’a conscience de la peur que nous avions lors de la première vague, lorsqu’on nous demandait d’aller travailler sans matériel ni protection et que les télés diffusaient en boucle les images de milliers de morts en Chine et en Italie. Chaque jour, j’avais la chair de poule en mettant ma blouse. » Pour lui, c’est cette cicatrice qui explique leur détermination. « Face à notre dévouement total à la nation en échange de notre santé, on pensait vraiment qu’on ne nous laisserait pas tomber. D’autant que nous avons aussi été les premiers à dire que la vaccination n’empêchait ni la contamination ni la transmission ! »
La récente annulation par le Conseil d’État des rares ordonnances de tribunaux administratifs prononcées en faveur des salariés suspendus est pour lui « un nouveau coup de poignard ». Il est aussi choqué qu’on bafoue les valeurs qui sous-tendent sa vocation. « Lors de nos études, nous suivons des formations sur le “consentement libre et éclairé” de nos patients [loi Kouchner], sur le secret médical, etc. Mais depuis deux ans, on nous dit d’oublier tout ça. C’est dégueulasse. »
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Ce qu’il craint également, c’est que l’hôpital retourne la situation et explique que ce sont ces soignants suspendus qui empêchent le système de fonctionner. « On ne demande qu’à travailler ! » martèle Rachid avant de rappeler qu’au plus haut de l’épidémie, « le gouvernement a fermé 5 700 lits, soit 17 600 depuis le début du quinquennat. En trente ans, nous avons perdu 100 000 lits : c’est la fin du service public. »
Comme souvent, des collègues et des syndicats aux abonnés absents
Virginie était auxiliaire de puériculture en crèche hospitalière à l’hôpital de Poissy. Elle a été suspendue à l’issue de sa journée de travail le 16 septembre 2021. « L’entretien avec la DRH a été particulièrement désagréable parce que j’ai refusé de signer cette suspension. Je l’ai donc reçue par courrier recommandé. Avant d’en arriver là, j’ai passé un mois d’août horrible, continuellement humiliée par mes collègues qui me disaient : “Garde ton masque, tu vas nous contaminer” ou encore “Tu vas faire quoi en septembre, parce que tu n’auras plus de salaire, ça va être dur pour toi !”. Aucune solidarité : j’ai vraiment été traitée comme une pestiférée alors que pendant cinq ans j’ai toujours travaillé correctement, on ne m’a jamais rien reproché, je n’ai jamais eu d’arrêt maladie… »
L’hôpital de Poissy aurait suspendu 135 personnes dans la même situation que Virginie. Aujourd’hui, elle vit avec le RSA. « Mon interlocutrice à la CAF [Caisse d’allocations familiales] n’a pas compris ma situation, elle n’avait jamais vu ça. Et malgré sa bonne volonté, je n’ai commencé à le toucher qu’en janvier 2022. »
Sans l’aide financière de quelques amis, sa vie serait impossible : son loyer s’élève à 1 000 euros et elle ne perçoit que 400 euros d’APL. Depuis le 16 septembre, elle est en arrêt maladie non indemnisé, la médiation lancée par son avocate n’ayant abouti à rien. Même dans cette situation, elle n’a reçu aucun soutien de ses ex-collègues et des syndicats. « Sans les bénévoles des collectifs locaux, comme les Blouses blanches 78, j’aurais été seule au monde. » À 40 ans, dégoûté du système, elle souhaite entamer une reconversion pour devenir directrice de micro-crèche.
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