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Les passions très changeantes de la France pour l’Orient

"La France et l’Orient, de Louis XV à Emmanuel Macron" de Jean-François Figeac (Passés composés, 2023)


Les passions très changeantes de la France pour l’Orient
Le président Emmanuel Macron sur le porte-helicoptères Tonnerre à Beyrouth le 1er septembre 2020 © Lemouton-POOL/SIPA

La France et l’Orient, de Louis XV à Emmanuel Macron


Août 2020. Une double explosion ravage Beyrouth et fait 149 morts. Quelques jours plus tard, Emmanuel Macron se rend au chevet du Liban malade. Le président promet l’aide de la France et prend dans ses bras une Libanaise. Au Liban, circule alors une pétition plus ou moins sérieuse demandant le retour du mandat de la France tel qu’il existât entre les deux guerres mondiales. Le temps d’un été, c’est toute une iconographie qui refait surface, celle d’une relation privilégiée et passionnelle entre la France et l’Orient.


La France et l’Orient, c’est le sujet du livre de Jean-François Figeac sorti à l’automne chez Passés composés, alors qu’approchent les 20 ans du discours de Dominique de Villepin à l’ONU contre la guerre d’Irak, haut moment de « la voix originale » de la France dans la région. Le jeune agrégé d’histoire revient sur ces moments mythologiques qui se sont succédé, depuis le règne de Louis XV jusqu’à celui d’Emmanuel Macron. Par Orient, l’auteur entend une région bien délimitée, correspondant à la façade méditerranéenne orientale de l’ancien Empire ottoman ; ce que l’on appelait jadis le Levant, augmenté de la Grèce, de la Turquie et de l’Egypte. Du point de vue chronologique, Jean-François Figeac remonte même un peu avant le règne de Louis XV, car l’alliance entre François Ier et Soliman constitue l’un des premiers moments mythiques de cette relation. Tout au long de l’époque moderne, la France continue d’entretenir une relation politique et commerciale privilégiée avec la Sublime Porte, non sans être tentée toutefois de semer le chaos chez son allié : ainsi, en 1685-1687, Louis XIV avait envoyé une mission secrète pour observer les côtes ottomanes afin de préparer une éventuelle prise de Constantinople. En fait, jusqu’au milieu du XVIIIème siècle, l’idéal de la croisade n’est jamais totalement sorti des esprits.

Jean-François Figeac revient donc sur ces moments qui ont fondé le mythe de la relation France-Orient, de Bonaparte au pied des pyramides à Jacques Chirac menaçant de retourner « in [his] plane and back to Paris » lors de sa visite à Jérusalem. L’auteur mesure aussi les évolutions de l’opinion et les retournements historiques. L’expédition d’Égypte du Général Bonaparte, qui n’a pas été une franche réussite militaire dans les faits, a su à l’époque retourner une presse jacobine au départ peu favorable et a su se transformer dans les esprits comme un moment héroïque. À mesure que l’on entre dans le XIXème siècle, et tandis que l’alphabétisation et l’accès à l’imprimé progressent, la question d’Orient va susciter l’intérêt y compris dans les couches populaires. Celles-ci vont se prendre de passion pour la guerre de Crimée (1853-1856), menée par une France inquiète des manœuvres de la Russie pour lui disputer son rôle historique de protectrice des Lieux Saints en Palestine. Jean-François Figeac mesure les poussées d’émotion soudaines dans l’opinion, tantôt anglophobes et germanophobes, lors de la crise d’Orient (1840), quand la France des faubourgs voulut se lancer aux côtés du vice-roi d’Egypte Méhémet-Ali contre l’Empire ottoman et l’ordre européen tout entier ; tantôt russophobe, pendant la guerre de Crimée. L’auteur observe aussi  les « redescentes d’émotion » ; à la fin du XIXème siècle, l’Orient, désormais plus facilement accessible grâce à la navigation à vapeur, a perdu une bonne partie de son charme mystique, même aux yeux des pèlerins de passage en Terre Sainte. Désormais, l’attention se porte plutôt sur le continent africain, colonisation oblige.

À la fin du XIXème siècle, la France a dû se contenter d’exercer un soft power sur le Levant, notamment grâce aux ordres missionnaires que la République subventionne allègrement (pragmatique, Gambetta avait dit : « l’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation »). Au XXème siècle, la France met les pieds politiquement dans la région en obtenant le fameux mandat sur le Liban et la Syrie durant l’entre-deux-guerres, lequel  se termina dans un certain tumulte. Aussitôt le mandat terminé, l’opinion française se désintéresse du Liban, décidément compliqué, comme le résumèrent à leur tour les Inconnus dans un célèbre sketch.

C’est désormais l’apparition de l’État israélien qui va être au cœur des passions, entraînant en un demi-siècle de spectaculaires retournements au sein des différentes familles politiques françaises. Au tout départ, la IVème République marcha main dans la main avec Israël, avec pour sommet la coopération entre les deux pays pour l’expédition du Canal de Suez. Et puis le Général de Gaulle revint aux affaires ; survinrent la crise de 1967 et la petite phrase sur le « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ». Pour autant, Jean-François Figeac cherche à éviter toute essentialisation de l’attitude gaullienne et rappelle que les neuf premières années de la présidence de De Gaulle ont plutôt prolongé l’action de la République précédente. D’ailleurs, les Mirages III de l’armée israélienne qui bombardaient les positions égyptiennes lors de la guerre des Six Jours avaient été achetés à la France six années plus tôt. En tout cas, la position de De Gaulle va à rebrousse-poil de l’opinion française, très favorable à Israël depuis sa naissance, de la gauche, du centre (Valéry Giscard d’Estaing signe un appel de « sympathie au peuple israélien », aux côtés de François Mitterrand et de Serge Gainsbourg notamment) et même de quelques barons du gaullisme. Bizarrement, Giscard, une fois devenu président, va prendre le contre-pied de sa posture précédente et va prolonger voire aiguiser l’attitude pro-arabe de la France. Quand la gauche arrive au pouvoir, elle a la réputation d’être plus favorable à Israël que la droite. Dans le même temps, l’opinion fléchit, désormais plus sensible au point-de-vue palestinien. Mitterrand va plutôt prolonger l’attitude de ces prédécesseurs, au moins sur la question israélo-palestinienne, au point d’inspirer à Hubert Védrine la notion de « gaullo-mitterrandisme ». Une notion que Jean-François Figeac nuance largement et qu’il classe parmi les mythes de la relation franco-orientale, eu égard à l’engagement mitterrandien aux côtés des Américains lors de la première guerre du Golfe.

Jean-François Figeac, La France et l’Orient, de Louis XV à Emmanuel Macron.

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Professeur démissionnaire de l'Education nationale

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