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Amour, crimes et beauté

« Les papillons noirs », sur Arte.tv, à partir du mercredi 7 septembre


Amour, crimes et beauté
Axel Granberger et Alyzee Costes dans "Les Papillons noirs" (2022), une série créée par Olivier Abbou et Bruno Merle © Nicolas Roucou / GMT PRODUCTIONS

Le réalisateur-scénariste Olivier Abbou nous a habitués à bousculer les codes de la très sage fiction française. Il récidive avec une série-choc, «Les Papillons noirs»: un thriller initiatique qui dissèque les agissements d’un couple de jeunes serial killers dans la France des années 1970. Rencontre avec le créateur dont la nouvelle série sera diffusée à partir de mercredi prochain.


Son nom ne vous dit pas forcément grand-chose et pourtant il gagne à être (re)connu ! Dans une époque désespérément lisse et aseptisée, Olivier Abbou n’hésite pas à prendre des risques et à aborder dans ses œuvres – long-métrages et séries – des thématiques sociétales de fond pour explorer les contradictions inhérentes à nos démocraties pseudo-libérales, tout en rendant hommage aux auteurs-phares des années 1970 ainsi qu’aux différents « cinémas de genre » qu’il affectionne particulièrement.

« Territoires » (2011), survival post-11-septembre et post-scandale d’Abou Ghraib, questionnait les rapports des Occidentaux aux valeurs d’ordre, de liberté et de sécurité dans un contexte nord-américain complètement paranoïaque et irrationnel. « Furie » (2019), d’après une histoire vraie, décrivait le long calvaire d’un couple mixte qui, de retour de vacances, se voit dans l’impossibilité de récupérer sa vaste demeure, laissée provisoirement à une baby-sitter dans le besoin. Enfin, dans « Maroni » (deux brillantes saisons diffusées sur Arte en 2018 et 2020), il était question de sonder les liens de la métropole à ses territoires ultra-marins, en l’occurrence la Guyane et Saint-Pierre-et-Miquelon, à travers l’enquête d’une fliquette de charme en proie à divers drames personnels et visions fantasmagoriques.

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Avec « Les Papillons noirs », Olivier Abbou pousse les curseurs de l’audace encore un peu plus loin… De quoi s’agit-il ? Adrien Winckler (Nicolas Duvauchelle), romancier quadragénaire tourmenté et cabossé par la vie, peine à accoucher d’une œuvre qui pourrait enfin le placer sous les projecteurs de la renommée. En attendant son heure, il accepte de retranscrire la vie d’illustres inconnus, à l’instar du mystérieux Albert Desiderio (Niels Arestrup), vieil homme solitaire vivant dans une maison isolée à proximité d’Arras. L’ermite n’a qu’une obsession : évoquer en guise de confession et avant son dernier souffle qu’il sent proche, la passion amoureuse qu’il a connue plus jeune (sous les traits de l’épatant Axel Granberger) avec la magnifique et incendiaire Solange (Alyzée Costes), dans la France des années 70, où le parfum apparent de liberté et d’insouciance masque une réalité bien plus fétide et sordide.

Rencontre avec le réalisateur.


Causeur. Après les univers froids et polaires de la saison 2 de Maroni qui se déroulait à Saint-Pierre-et-Miquelon et Terre-Neuve, vous nous transportez cette fois au cœur d’une France vintage et chatoyante des années 70… sur la route sanglante des vacances estivales…

Olivier Abbou. On se doutait bien avec Bruno Merle, co-scénariste, que l’on était en train de créer un matériau complètement décalé et étrange. Une «balade sauvage» des amants criminels dans cette France «carte postale» des années 70, contrebalancée par le présent crépusculaire, froid, quasi clinique du romancier Adrien qui va recueillir les confessions d’Albert dans une étrange demeure hantée par ses souvenirs et ses agissements d’antan. Nous avions vraiment envie de susciter l’appétence chez le spectateur de partir à la recherche de ce couple de tueurs en série dans ce passé tantôt réel, tantôt fantasmé et déformé. Ce contraste de tonalités permettait également de mettre la violence à distance, l’esthétiser et la déréaliser comme dans un giallo italien des années 70.   

Votre série est profondément symbolique et parabolique. En témoigne cette lumineuse citation du Livre d’Ézéchiel, chapitre 18, qui revient tel un puissant leitmotiv dans la bouche des personnages : «Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en ont été agacées». Quelle est votre explication ?

Nous ne voulions pas donner de réponse absolue. Que transmet-on à nos enfants ? De quoi est-on l’héritier ? Comment la violence crée des grands silences ? D’où le titre du premier roman rédigé par Adrien, «Le grand silence». Certes, nous héritons, d’une certaine manière, des fautes et des blessures de nos ancêtres. Ce qu’exprime avec précision scientifique l’épigénétique pratiquée par Nora, la femme d’Adrien. Mais si on prend la peine de lire toute la parabole biblique, c’est un peu plus compliqué, à l’instar de ce que rétorque un jeune talmudiste à Adrien au début de l’épisode 6 au cours de la conférence de presse censée enfin couronner le «romancier» : le libre-arbitre de l’individu prime au-delà de tout déterminisme. Nous sommes puissamment libres sans être forcément écrasés par le poids d’un quelconque destin tragique qui pèserait sur nos têtes ad aeternam.   

La pulsion meurtrière, quasi bestiale, génère automatiquement une pulsion sexuelle homothétiquement irrépressible, ce qui renforce le caractère transgressif et licencieux de votre œuvre.   

Nous souhaitions créer avant tout une grande série romanesque sur le mode addictif du «page-turner», comme lorsque vous dévorez un bouquin l’été sur la plage sans pouvoir aller vous baigner (rires). La dimension mélodramatique était également prioritaire avec ce croisement entre histoires d’amour et tueurs en série. J’avais en tête des références comme Les Tueurs de la lune de miel de Leonard Kastle ou encore Love Hunters de l’australien Ben Young. En résumé : lorsque Eros rencontre Thanatos. On peut imaginer que l’enfance des deux meurtriers n’a pas été rose avec des blessures profondes et des agressions subies, notamment d’ordre sexuel. La première relation charnelle entre les deux anges déchus filmée dans une ambiance de jardin édénique suit immédiatement les premiers meurtres commis après la tentative de viol sur Solange, ce qui ne présage évidemment rien de bon pour la suite… Les deux amants vont ainsi courir toute leur vie tels des héroïnomanes en manque derrière leur premier shoot. Ce qui est un mécanisme classique chez les tueurs en série, l’obsession de retrouver ce premier frisson, cette «première fois» forcément idéalisée et fantasmée.       

L’acteur Niels Arestrup © Nicolas Roucou

Tous les acteurs sont vraiment impressionnants et particulièrement votre quatuor magique constitué de Niels Arestrup, Nicolas Duvauchelle, Axel Granberger (Prix du meilleur acteur dans une série française Séries Mania 2022) et Alyzée Costes.      

Nous avons pris énormément de plaisir à tourner, notamment toutes ces scènes incroyables et à rendre vivants tous les personnages, dont la dynamique de binôme, évoluant à travers des prismes et miroirs plus ou moins déformants, nous a beaucoup amusés en nous renvoyant forcément aux chefs-d’œuvre séminaux de Buñuel ou de Lynch et à un scénariste que nous adorions et auprès duquel notre dette est immense, Jean-Claude Carrière.      

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La création littéraire fondée sur la confession et le recueil d’une parole forcément subjective tient également une place essentielle dans la série. Peut-on selon vous tout dire, tout écrire dans une œuvre, au risque d’exploiter à des fins commerciales les pires horreurs commises par l’être humain ?

On peut évidemment s’emparer de n’importe quels source et support, tout dépend de comment cela est fait. L’humanité a toujours été fascinée par le phénomène des tueurs en série, ce qui représente un matériau fictionnel exceptionnel. Quand on creuse un peu, on se rend compte que c’est dans l’enfance que tout se joue et la majorité des serial-killers ont subi de graves sévices dans leur prime jeunesse. L’art permet cette introspection afin de distinguer notre part d’humanité de celle plus sombre, inavouable, qui se situe aux frontières de la déraison, de la folie voire de la barbarie. Je souhaitais, d’autre part, questionner le statut de la véracité de la parole ainsi que celui des images mentales. Pendant toute la série, on se demande si les images en flash-backs sont bien le récit interprété par Adrien ou sont déjà le roman mis en images. Dès que l’on se raconte, on devient forcément le personnage d’un récit avec une part fictionnelle non négligeable. Comment est-on contaminé, virussé, dévoré par sa propre création ? C’est ce qui me fascine le plus. Au spectateur-investigateur d’être attentif aux nombreux indices parsemés tout au long des six épisodes pour démêler l’écheveau de la narration, forcément piégée par les multiples représentations et interprétations formulées par les différents protagonistes.

À voir : Sur arte.tv à partir du 7 septembre ; sur la chaîne arte les jeudis 22 et 29 septembre à 20h50.

À lire : Les papillons noirs, de Mody, Éditions Le Masque – Arte Éditions). 

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