Les Nus: légendes bretonnes


Les Nus: légendes bretonnes
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Le groupe rennais Les Nus n’avait jusqu’ici sorti qu’un seul album, en 1982. A l’époque, l’objet avait été accueilli par la critique comme un monolithe noir venu de l’espace : avec circonspection. Il n’empêche, le disque a depuis été repêché et applaudi par Miossec, Noir Désir et Étienne Daho (entre autres). A l’occasion de la publication d’un deuxième album remarquable, Les Nus reviennent pour Causeur sur leur odyssée rock et leurs chants un peu clivants.

Sébastien Bataille : Rennes était considérée en France comme la capitale du rock dans les années 80. Vous avez participé à cette effervescence au point de signer chez une major du disque (RCA) en 1982. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ? Êtes-vous nostalgiques ?
Christian Dargelos (auteur et chanteur des Nus) : Évidemment que l’on ressent un brin de nostalgie. Ce vent nouveau qui a soufflé sur Rennes fin 70-début 80 reste gravé dans nos mémoires. C’était une belle époque à vivre, on partait de pas grand-chose et cette scène dite rennaise est devenue importante en France. On a su « professionnaliser » notre son et l’on s’est rapproché de nos cousins anglo-saxons dans l’esprit. On a gagné en crédibilité également en cherchant à trouver un angle original, que ce soit avec Marquis de Sade ou Les Nus, mes deux groupes. Mais c’est le passé, aujourd’hui on est en face d’un autre challenge, tout aussi excitant, celui de convaincre avec des chansons !

Tous les groupes français issus de cette scène post-punk foisonnante des années 80 ont disparu, à quelques exceptions près. Que vous inspire votre position de « survivants » ?
Nous arrivions de plus loin, même si le punk fut pour moi un déclic, et m’a désinhibé, le rock des années 70 m’a construit à travers ses groupes et leurs compositions qui allaient au-delà du rock’n’roll. Qui survit aujourd’hui ? Les Stones, Les Who, et même les Kinks qui reviennent à travers une comédie musicale qui se joue à Londres. Je persiste et signe que l’époque la plus créative dans le rock fut fin 60, début 70. Les Beatles et les Stones, ainsi que l’arrivée des studios multipistes ont contribué à cette révolution.  Maintenant, en ce qui nous concerne, nous avons disparu quasiment vingt-cinq ans avant de réapparaître pour un concert qui devait être sans suite. Et puis, le projet d’album a réenclenché la machine et Les Nus refont surface avec un LP onze titres dont on est très fier.

Votre premier album a été un échec critique et commercial mais a laissé des marques vives chez des gens comme Étienne Daho (producteur de votre nouveau singl, Noir Désir (qui a repris votre titre « Johnny Colère » sur leur album Tostaky) ou encore Miossec. La réhabilitation de votre œuvre est en marche semble-t-il…
On avait un répertoire plutôt bien foutu. Très électrique musicalement, enrobé d’une poésie noire. L’enregistrement de l’album n’a rien retenu de cet aspect. C’est de notre faute, on a lissé et négligé ce qui faisait notre force. Au vu du résultat, les gens sont un peu tombés de haut et l’ont dit ou écrit. Heureusement, des personnes de « qualité », Étienne Daho, les Noir Désir ou Miossec ont défendu cet album, ne retenant que la valeur des titres et non ses failles. Merci à eux, notre retour est en partie possible grâce à leur soutien. On se devait de refaire une copie correcte, dont acte.

Sur cet album figurait « La Force de l’islam » avec pour refrain : « La force de l’islam réside dans son fanatisme, son magnétisme, sa cruauté, l’Occident livré aux flammes et à la danse. » Vous avez expliqué en 2013 : « Certains y verront peut-être une attaque en règle contre la montée de l’islamisme, mais il ne s’agit pas du tout de cela. Ce texte fait plus référence au mysticisme chiite du Moyen Âge et à des mouvements comme le soufisme ou la secte des Haschichin. » En 2016, ce titre résonne pourtant comme une prophétie…
J’ai écrit « La force de l’islam » après la chute du Shah en Iran et l’avènement des mollahs. Donc il y a longtemps. Ces rassemblements de fanatiques dans les rues de Téhéran étaient, pour moi, hallucinants et bien sûr inquiétants. On n’avait pas vu ça depuis Nuremberg ou les funérailles de Mao. L’Inquisition nouvelle était en marche. Le présent me donne en partie raison. En revanche, la culture musicale arabisante est pour nous une source d’inspiration de premier ordre. De grands morceaux de rock ont puisé dans ces rythmes orientaux, je pense à « Kashmir » de Led Zep, « Paint it black » des Stones. C’est riche, hypnotisant et émouvant à la fois, donc on s’en sert. « Johnny Colère » est dans cette même veine hybride : mi-rock, mi-arabisant, comme un portrait de Lawrence d’Arabie chevauchant un chopper !

Vous ajoutiez, dans la même interview : « La plupart des textes des Nus, à l’image des « Années Reagan« , ont un fort positionnement politique. » Justement, pouvez-vous nous éclairer sur le sens politique de ce titre produit par Daho, « Les années Reagan » ?
« Les années Reagan » parle des États-Unis et de leur côté pervers. C’est l’eldorado vu de la vieille Europe, Hollywood en cinémascope sauf que sur place c’est une société dure et âpre. Wall Street commande et le peuple américain obéit. Mais en échange, il y a cette magnifique culture qui nous attire, en premier, le rock, en second le cinéma et toute cette littérature (Steinbeck, Bukowski…) et, pour finir, ces grands espaces faits pour les « Pierres qui roulent ». Je trouve nécessaire d’écrire sur les inepties des hommes politiques ou religieux. Plus beaucoup d’artistes se mouillent sur le sujet. Parfois, je m’y essaye. Je ne suis pas encarté, donc libre de pointer du doigt qui je veux.

Ce nouvel album s’inscrit, à trente-quatre ans d’intervalle, dans le droit prolongement du premier. Était-ce une façon pour vous de boucler la boucle ou bien ce disque représente-t-il malgré tout un nouveau départ ?
Les deux. Je l’ai dit plus haut, « il fallait terminer le boulot ». Notre héritage est à spectre large mais on a traversé quelques mouvements. Du psychédélisme au punk, en passant par la new wave et le blues boom, on a de quoi faire. Un programmateur radio a dit des « Années Reagan » que cela sonnait « old school », mais on le revendique. Entre un titre des Doors et un morceau de Stromae, j’ai vite fait mon choix.

Comment se sont passées les retrouvailles en studio après tant d’absence ? Que vous a apporté Étienne Daho sur le titre qu’il a produit ? Avez-vous une anecdote particulière ?
C’est particulier le studio. D’abord des réglages en pagaille puis ensuite garnir les pistes, bien mélanger le tout pour obtenir la chanson idéale. Il faut une patience de Sioux et une concentration que je n’ai pas. Étienne nous a épaté, il est resté 48 heures à la manœuvre et a obtenu le morceau qu’il avait entendu dans sa tête. Il a changé la rythmique, rajouté des guitares et m’a fait chanter cinq fois de suite le morceau. « Fais-le comme un punk » me répétait-il. N’empêche que « Reagan » sonne du tonnerre au final. Étienne est devenu un grand professionnel, c’est le secret de sa réussite à mon avis.

Vous figurez parmi les derniers représentants d’un rock racé, littéraire sans être pédant, mélodieux (la musique évoque les Doors et les Stranglers), au chant habité d’une intensité noire et de poésie décadente. C’est dire à quel point vous tranchez dans le marasme du marché. Qui trouve grâce à vos yeux dans le paysage musical actuel ?
Bizarrement, tout ça reste marginal dans le rock français. Écouter de la musique tout en lisant les paroles sur la pochette intérieure ne semble pas aller de pair. Cantat est resté un bon parolier, avec un peu moins de crédibilité certes mais showman d’exception et grand chanteur. La jeune génération ne m’épate pas. Quelques titres ici et là. Mais j’aimerais retrouver des chansons « tubes » qui redonneraient du lustre à un Top 50 en verve. Je veux réentendre du single ! Des mélodies qu’on chante sous la douche ou en voiture. Chez nous, « Reagan » ou « Le clown triste » ont ce potentiel. Pas beaucoup d’artistes sont capables de fournir un concept album.

A l’époque de votre premier disque, les enjeux n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Comment appréhendez-vous la sortie du nouveau ?
Le premier album devait être un tremplin, il fut un précipice. Aujourd’hui,  nous sommes en phase avec cet album. Dommage que depuis dix ans les ventes de disques aient à ce point diminué !

Une tournée est-elle prévue ? Y aura-t-il un troisième album des Nus ?
Nous avons quelques dates de prévues pour 2016. L’année 2017 devrait être plus fournie. Un troisième LP, pourquoi pas, mais avant trente ans j’espère !

 

Verdict : ce nouvel album des Nus révèle sa belle saveur en effet « old school » au fil des écoutes, évoquant les grands espaces du rock des enfants terribles (Johnny Thunders, Jeffrey Lee Pierce, etc.) et en fait un excellent cru. Le disque a récolté 4 étoiles dans Rock&Folk (on lui en décerne au moins autant), signe des temps ?

 

En concert : à Paris, au Petit Bain, le 31 mai à 20h00.
Album : Les Nus, sorti le 18 mars (Label HYP).



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est l'auteur de nombreux ouvrages biographiques, dont Jean-Louis Murat : Coups de tête (Ed. Carpentier, 2015). Ancien collaborateur de Rolling Stone, il a contribué à la rédaction du Nouveau Dictionnaire du Rock (Robert Laffont, 2014) et vient de publier Jean-Louis Murat : coups de tête (Carpentier, 2015).

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