Les caméras de Bangumi sont allées à la rencontre de tous ces jeunes qui ont 20 ans, des baskets tendance… et sont fans de Zemmour. La spécialiste des médias et de la rhétorique Ingrid Riocreux a regardé la soirée spéciale de « Quotidien » consacrée aux identitaires.
C’est un postulat souvent vérifié que les médias n’enquêtent que sur les gens à qui ils veulent nuire. Mais les reportages de Martin Weill ne s’inscrivent pas dans cette logique: il s’agit plutôt d’explorer des univers mystérieux (sectes, transhumanistes, ésotérisme, narcotrafic, transgenres, coulisses de la téléréalité, etc.) et de permettre aux gens qu’il y rencontre de révéler la singularité de leur parcours de vie. Son reportage sur les nouveaux réacs ne fait pas exception.
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Aussi le ton du reportage tranche-t-il avec les dispositifs auxquels on nous a habitués sur ce type de thématiques. Pas de caméra cachée, de voix déformées, de visages floutés. Et surtout, pas de « musique qui fait peur », l’élément essentiel des reportages sur l’ultra-droite dans toutes ses déclinaisons, qui nous rappelle que nous sommes en train de faire une incursion dans l’antre du démon.
Cela nous change et c’est fort louable.
L’attitude presque bienveillante de Martin Weill vis-à-vis de ses interlocuteurs surprend tout autant. Au demeurant, les entretiens n’ont pas été coupés de manière à désavantager les personnes interrogées. Ainsi en va-t-il, par exemple, du passage où l’on voit un journaliste du média en ligne « Livre Noir » dénoncer la prétention à l’objectivité des médias dominants. La répartie de Martin Weill est molle et semble même n’exister que pour la forme.
En regardant ce reportage, j’ai pensé à l’émission « Dans les yeux d’Olivier », le magazine d’Olivier Delacroix, dont le principe est à peu près le même: écoute, intérêt pour l’autre dans sa singularité, absence de diabolisation. Mais en établissant ce rapprochement, on fait immanquablement apparaître deux points de discordance.
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D’abord, le reportage de Martin Weill donne tout de même, globalement, l’impression d’un docu-fourre-tout: de la tiktokeuse filiforme au popeye viandard et moustachu, en passant par le militant zemmourien et la féministe identitaire, les personnages présentés dans le sujet n’ont à peu près rien en commun. En réalité, leur point commun réside dans le regard que porte sur eux le journaliste: leurs idéaux et leurs propos vont à rebours du sens de l’histoire, dogme progressiste qui demeure la référence de pré-pensé médiatique. Ajoutons que ce mélange des genres contribue à discréditer les réactionnaires respectables: il y a quelque chose d’étrange et de contestable à mettre sur le même plan des pratiques traditionnelles du militantisme comme le collage d’affiches ou le tractage, et des stupidités ineptes et, à mon sens, idéologiquement peu fructueuses, comme les singeries de youtubeurs ou de tiktokeurs, qui ne prêchent sans doute que des convertis, si tant est qu’ils prêchent, d’ailleurs. J’espère comprendre un jour comment, ainsi qu’elle le prétend, une poupée superficielle qui se trémousse sur « Viens boire un p’tit coup à la maison » en agitant des bouteilles de vin, peut espérer « faire adhérer les jeunes à ses idées ». Je vois plutôt là une démarche assez grotesque pour vous dégoûter à vie du patriotisme… J’ai, en tout cas, perçu le choix de débuter ce reportage avec un tel personnage, comme une volonté nette de nuire à la cause étudiée. Dans le même ordre d’idée, on reste perplexe quant à la pertinence du passage consacré au coach en séduction (seul moment où le journaliste agit en infiltration; en l’occurrence, comme participant à une « formation » en ligne), dont le seul intérêt, semble-t-il, est de donner à entendre des propos racistes, qui viennent colorer l’ensemble du reportage de la teinte brune attendue, qui lui manquait sérieusement.
Ce que Martin Weill ne dit pas, il va confier à d’autres le soin de le formuler (tandis qu’il se contentera de faire « oui » de la tête). Là aussi, on laisse loin derrière le sympathique modèle d’Olivier Delacroix: les « nouveaux réacs » sont un objet d’étude sur lequel des « spécialistes » vont poser des diagnostics qui, avec le ton neutre de l’observation objective, sont en réalité des condamnations idéologiques. Caroline Fourest n’admet pas de féminisme hostile à l’avortement: c’est « vouloir se libérer de la libération », conclut-elle. Tous, ils s’accordent à penser que ces individus étranges défendent des « idées rétrogrades », quand ils pourraient lire dans ce phénomène la permanence de valeurs de référence par-delà la spécificité des parcours de vie, ou bien encore le cycle naturel du renouvellement des idées. On touche toutefois un point de pertinence quand les intervenants proposent de voir ces nouveaux réacs comme des rebelles, des punks. Il est indéniable que chez beaucoup de nouveaux réactionnaires, le rejet de la doxa dominante prévaut sur une véritable adhésion à un modèle de société qu’ils auraient tôt fait d’honnir s’il s’imposait.
C’est sans doute pourquoi l’on peut considérer que le reportage de Martin Weill pèche essentiellement par son titre: les néo-réacs n’ « attaquent » pas (verbe qui les désigne comme des agresseurs, des dangers); ils contre-attaquent. Ils sont le symptôme le plus visible d’une allergie assez répandue à cette moraline nauséeuse servie comme un discours obligé depuis quelques décennies, qui a écrasé toutes les opinions divergentes, ne les faisant exister dans les médias que pour les frapper d’interdit.
L’émission est visible sur le site de MyTF1.
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