Marie Nimier, la fille de Roger, donne avec son dernier roman, Petite Sœur, la preuve qu’elle a su encore une fois se faire un prénom.
Il l’appelait « petite sœur ». Or, c’était lui le petit frère et elle, la grande sœur. Il la protégeait. Parfois, il était espiègle, pénible, un peu cruel. Elle l’aimait. Surtout quand il était enfant. Devenu adulte, il lui a fait un sale cadeau : lui léguer ses cendres. Parce qu’il est mort. C’est dur de perdre son double masculin, surtout quand le même sang que le tien coule dans ses veines. Un frère et une sœur sont liés comme la main et le pied. Il est mort et elle reste seule, Alice, avec ses souvenirs, son chagrin, un livre dans sa tête à écrire. Écrire, c’est vain et indispensable à la fois face à la perte. Il s’appelait Mika, il avait vingt-huit ans, à peine plus âgé qu’elle. Alice était en froid avec Mika quand il est mort. L’écriture élégante et minimaliste de Marie Nimier résume : « Il est mort en tombant, comme un tableau qui se décroche. La ficelle a lâché. Reste la marque jaune sur le mur, celle qui n’a pris la lumière. » Alain Robbe-Grillet n’en aurait pas dit davantage.
Subtil et efficace
Alice est tellement bouleversée par la disparition de son frère qu’elle ne peut se rendre à la crémation. Apparaît alors le personnage baroque de la grand-mère. Elle est américaine, elle lui dit d’écrire sur la relation frère/sœur. C’est original. La littérature a rarement emprunté ce chemin. Sûrement les ombres de Caïn et Abel… Alice répond à une mission de garde de chat dans une vaste maison dont le propriétaire est parti en Inde. On ne connaîtra pas le lieu exact. Un quai, un fleuve, c’est à peu près tout. Le roman, celui qu’on lit, à noter au passage la maîtrise de la mise en abyme, déroule l’histoire d’Alice et Mika. La garde du chat est angoissante, car le chat a disparu. On ne sait pas où il se cache, peut-être dans le tambour de la machine à laver, mort. Peut-être n’a-t-il jamais existé.
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Alice écrit en donnant à manger à la plante carnivore prénommée Vanessa. Elle lui donne des mouches, comme elle lance des mots à ses pages blanches. Ça se met en place. C’est subtil, efficace. De la dentelle de Calais, son roman. Il y a des retours en arrière, ce qui fait que l’enfance est partout évoquée. Ça pince le cœur. « Mika savait me rassurer quand j’étais perdue. Avec lui, j’étais en sécurité, nos parents l’ont répété pendant tout notre enfance, et même si ce n’est pas vrai, maintenant qu’il ne peut plus rien pour moi ni pour moi ni contre moi, pourquoi ne pas y croire ? » Dans le pli d’une phrase, parfois, la narratrice se confie. Elle a du mal, dit-elle, à accepter la tendresse des hommes. Le roman est également saupoudré d’humour pour tenir éloigner l’esprit de sérieux. Ça tient sûrement de famille.
Marie Nimier, Petite Sœur, Gallimard, 2022, 240 pages, 19,00€.