Le Pape François n’en finit pas de faire sortir les loups du bois. Gaspard Koenig, président du think tank libéral Génération Libre, et candidat malheureux du Parti libéral-démocrate pour les Français de Londres en 2012, a pris sa plus belle plume dans L’Opinion pour faire l’éloge de Jean-Luc Mélenchon.
Oui, vous avez bien lu, l’admirateur de Margaret Thatcher encense celui qui fait applaudir une salle à la mention de la « Grande Révolution de 1917 ». En fait, Koenig remercie Mélenchon pour une chose particulière : s’être opposé à la venue du Pape au Parlement européen de Strasbourg. « Merci de rappeler que la fierté de la France, et de l’Europe, est d’avoir su séparer, non sans douleur, la Cité du fait religieux », écrit notre penseur libéral. Ce dernier devrait pourtant savoir que, si la séparation du temporel et du spirituel fait partie de l’essence du christianisme, la France et son État laïque font figure d’exception en Europe. L’Allemagne pratique un régime se rapprochant du Concordat. L’Espagne et l’Italie accordent une place particulière à l’Église catholique. Quant au Royaume-Uni, patrie d’adoption de Mister Koenig, l’Église d’État anglicane rythme les grands événements de la société britannique, sans que les habitants soient contraints d’assister aux vêpres d’Evensong. Qu’importe, pour Gaspard Koenig, « le cléricalisme, voilà l’ennemi, aujourd’hui comme hier – et, à en croire la résurgence des fanatismes, aujourd’hui plus qu’hier ». Il faudra par ailleurs que quelqu’un lui apprenne, ou lui rappelle, que l’islamisme sunnite, dont il semble faire mention, n’obéit à aucun clergé.
Notre penseur poursuit : « le législateur, œuvrant pour l’intérêt général, n’a aucune leçon à recevoir d’une communauté privée de croyants, qui a d’ailleurs longuement combattu l’idéal démocratique. » En cette Journée internationale de l’abolition de l’esclavage, on ne fera pas offense à Gaspard Koenig de consulter l’histoire de la Grande-Bretagne libérale qu’il chérit tant : ceux qui permirent l’abolition de la traite britannique des esclaves, en 1807, furent précisément la communauté privée des protestants évangéliques. Le pionnier de cette abolition fut le député William Wilberforce, chrétien fervent, converti suite aux prêches de John Wesley, prêtre anglican, initiateur du méthodisme, courant du protestantisme évangélique, à la fin du XVIIIe siècle. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, dans le vaste apport des Eglises chrétiennes aux sociétés humaines, mais il permet de répondre à notre ami Koenig que oui, le législateur a parfois besoin de recevoir des leçons de la part de certaines communautés de citoyens.
L’exemple de la traite des esclaves est peut-être inopportun pour Gaspard Koenig. En libéral cohérent, ce dernier est favorable à sa forme modernisée, avec la GPA. « L’homme, finalement, est maître et possesseur de la nature », affirmait-il au micro de France Culture en juillet 2014. La traite des maternités lui paraît même secondaire par rapport aux folles opportunités des nanotechnologies, biotechnologies et du transhumanisme. Discuter des nouvelles conditions d’esclavage permises par la technique, voilà ce qui intéresse Gaspard Koenig, qui en conclut : « C’est pourquoi je pense que la division gauche/droite va probablement céder la place au conflit (saignant) entre Anciens et Modernes.
Rendons grâce à Gaspard Koenig pour sa lucidité, même si sa logique semble quelque peu faiblarde, lorsqu’il remercie Jean-Luc Mélenchon pour son opposition au Pape, et déplore quelques lignes plus loin les « accents mélenchonistes » du souverain pontife. Le conflit saignant entre Anciens et Modernes est en cours. Ces derniers promeuvent une vision prométhéenne éculée de l’homme, qui carbure à l’anticléricalisme ringard. Gaspard Koenig nage dans le passéisme de son libéralisme thatchériste, à l’heure où les Anglo-saxons en reviennent, et où émergent, même sur le sol britannique, des critiques de premier plan, tel Philip Blond. Même s’il affirme le combattre, Jean-Luc Mélenchon et ses sbires rejoignent le libéralisme, en réduisant l’homme à un « sujet économique », et non une « personne dotée d’une dignité transcendante », comme l’a pointé le Pape François à Strasbourg.
Face aux ringards Koenig et Mélenchon, les Anciens, mais véritables novateurs, ont pour champion un jeune homme de 77 ans. « Seul en Europe, tu n’es pas antique ô Christianisme. L’Européen le plus moderne c’est vous Pape François », se serait exclamé le poète Apollinaire, après le discours papal de Strasbourg.
*Photo : Joseph Sardin.
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