Le sionisme s’est pensé dès l’origine comme une entreprise de normalisation. Avec la création de l’État d’Israël, les juifs ont voulu se mettre à l’heure des nations européennes. Or, au même moment, ces nations changeaient d’heure, elles devenaient des sociétés post-nationales. Et cela au nom même de la mémoire d’Auschwitz. Méditer le malheur des juifs en Europe, c’est appeler à la venue d’une humanité que ne romprait aucune séparation intérieure. L’Europe se targue de donner l’exemple en empruntant, pour ne jamais exclure personne, la voie rédemptrice de l’indétermination. Fuir éperdument le spécifique, l’enracinement, le charnel, l’héritage, l’appartenance : telle est la mission auto-civilisatrice que s’assigne l’Europe en tant qu’Union européenne. Comme l’écrit le philosophe Jean-Marc Ferry, « l’identité européenne est une identité dont le principe consiste à s’ouvrir à d’autres identités ».
>Depuis le début des Temps modernes, la culture était, pour le dire avec les mots de Kundera, « la réalisation des valeurs suprêmes par lesquelles l’humanité européenne se comprenait, se définissait, s’identifiait ». Aujourd’hui, ce n’est plus la culture qui occupe cette place, c’est le respect des autres cultures, et notamment de celles qui ne respectent pas l’Europe. Israël est ainsi condamné de plus en plus souvent en tant qu’État juif.[access capability= »lire_inedits »] Il est, selon les tenants du devoir de mémoire, l’État occidental qui n’a tenu aucun compte de la Shoah. Et le sionisme, œuvre de normalisation, devient une anomalie, ou, comme l’a écrit Tony Judt, un « anachronisme ». Il faut croire que la Bible avait raison et que les juifs sont voués, quoi qu’ils fassent, à un destin séparé. En tout cas, Natan Sharansky voit juste : plus l’Europe sera multiculturelle et moins les juifs s’y sentiront chez eux. Je n’en conclus pas qu’ils doivent maintenant faire leurs valises, mais si les juifs ont un avenir en tant que juifs, c’est dans une Europe européenne et dans une France encore française, c’est-à-dire fidèle à elle-même.
Quant à l’avenir d’Israël, il est obscurci par une menace interne que Sharansky refuse de prendre en compte. Si les Israéliens ne trouvent pas le courage de se séparer des Palestiniens, alors l’État juif deviendra inexorablement un État binational. Et son modèle sera soit l’apartheid, soit, plus vraisemblablement, le Liban. Comme l’écrivait Bernard Lewis dès 1991, Israël risque de « devenir une association, une de plus, entre des ethnies et des groupes religieux en conflit. Les juifs se trouveraient dans la position dominante qu’avaient autrefois les maronites et la perspective d’un destin à la libanaise en fin de parcours ». La politique d’implantations est suicidaire, et seul un divorce avec les Palestiniens permettra au directeur de l’Agence juive en Israël de continuer à dire : « Bienvenue dans l’État juif et démocratique. »[/access]
*Photo : wikicommons.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !