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Les mauvais comptes d’Alexandre


Les mauvais comptes d’Alexandre

France club de foot

Alexandre dirige un club de football professionnel. Il a été chargé par la maison-mère de mettre de l’ordre dans les finances. Alors, depuis qu’il est en place, il tente de chasser toutes les dépenses inutiles. Par exemple, l’an dernier, il a supprimé la corbeille de fruits qui était à disposition des joueurs dans le vestiaire les jours de matches et d’entraînements. Il n’a pas non plus racheté de costumes pour les recrues. Pour les déplacements, on pouvait avoir 14 joueurs en costard et les quatre autres en survêtement[1. En fait, on me dit dans l’oreillette que les joueurs pourvus d’un costume, ne les enfilèrent plus, par solidarité]. Ce n’était pas très classe mais Alexandre était content, lui. Il avait réussi à être rigoureux. Qu’importe si ces petites choses supprimées pouvaient influencer dans le mauvais sens la cohésion de l’équipe. Qu’importe si, du même coup, le club avait un classement moins honorable. Qu’importe si, enfin, ce moins bon classement faisait perdre des centaines de milliers d’euros, soit beaucoup plus que les économies ainsi engrangées.

Qu’importe en effet. Car Alexandre est persévérant. À la fin du printemps, il a réuni les clubs de supporteurs et il leur a annoncé que la politique tarifaire des abonnements allait subir un infléchissement. Les places qu’occupent les plus riches, les présidentielles, les tribunes d’honneur étaient bien assez chères. En revanche, les prix des « virages » où l’on trouve davantage les classes populaires et moyennes[2. Et, sait-on jamais, les éventuels plus violents], allaient, quant à eux, subir une augmentation. Quand les représentants des associations de supporteurs, qui font partie de la seconde catégorie, ont protesté, ont fait état de la crise, du mauvais classement de l’an dernier, de l’injustice de la mesure puis des risques qu’encourait le club sur une éventuelle chute des abonnements, Alexandre avait sa réponse toute faite : regardez nos voisins, comparez les prix, comparez nos stades, et vous verrez que nous avons encore de la marge. Bien entendu, Alexandre mentait. Les abonnements des clubs comparables, c’est à dire visant comme lui le milieu de tableau, n’étaient pas du tout à l’avantage du sien. Quant au stade, c’était oublier que les supporteurs l’avaient déjà payé avec leurs impôts locaux[3. Comme la plupart des clubs français, celui d’Alexandre n’est pas propriétaire de son stade] et qu’il était plutôt malhonnête de leur en faire payer l’addition une seconde fois.

Il vit rigueur, il boit rigueur, il mange rigueur

Mais cette augmentation du prix des abonnements pour tout le monde, sauf pour ceux qui partageaient avec lui la tribune présidentielle, ne suffisait pas à Alexandre. Il expliqua ainsi qu’il était possible d’économiser 30000 euros de frais de nettoyage et d’embauches de stadiers en fermant certains secteurs du stade pour les matches attirant le moins de spectateurs. Que cette fermeture empêchât beaucoup d’abonnés de longue date de conserver leur place et leurs amis avec lesquels ils aimaient se retrouver au stade ne gênait pas Alexandre. Cet argument, servi là encore par ces mauvais coucheurs des associations de supporteurs, il le rejeta d’un revers de la main, avec mépris. Non cela n’allait pas, d’après lui, empêcher beaucoup de spectateurs de reprendre leur carte et ainsi générer un manque à gagner cinq à dix fois plus important que l’économie en question alors même que le club sortait de trois saisons catastrophiques et qu’il procédait à une augmentation des tarifs. « Bande de nuls », aurait-il ajouté, s’il n’avait pas cette courtoisie qu’on rencontre souvent chez les ministres du budget. Le problème, c’est que l’avancement de la campagne d’abonnement lui donne tort [4. 4000 au lieu de 7500, l’an passé].

Alexandre me fait penser à François. François est Premier ministre dans un pays d’Europe de l’ouest. Il pense rigueur, il vit rigueur, il boit rigueur, il mange rigueur. Quand il était petit, il rêvait sans doute d’être Antoine Pinay. Pourtant, il a passé tout son apprentissage de la vie politique avec Philippe, qui trouvait que cette rigueur aveugle avait des airs de Munich social. Et dans sa maison-mère à lui, il y avait aussi un conseiller, Henri, qui avait aussi travaillé avec Philippe et qui pensait pis que pendre de cette foutue rigueur. Qu’en définitive, elle était injuste, et inefficace parce qu’elle coûtait encore plus cher que les économies générées à la serpe. Avec François, mais aussi pour Jean-François, il fallait aussi regarder les voisins -notamment le plus grand d’entre eux, comparer avec eux. Mais, comme pour les abonnements d’Alexandre, la situation des voisins racontée par François et ses copains, c’était souvent des calembredaines, comme aurait dit Philippe.

Du coup, j’ai un peu plus d’indulgence pour Alexandre. Après tout, comment lui demander d’être plus compétent qu’un Premier ministre.



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