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Les Maîtres du Désordre


Au Musée du quai Branly, sur les bords de la Seine, Jean de Loisy fait dialoguer 350 objets ethnologiques liés aux pratiques des sorciers et chamans avec 20 installations d’artistes contemporains. « Les Maîtres du désordre » sont l’exposition blockbuster de la saison, la dernière théorie officielle de l’art ! Le décor est un labyrinthe initiatique. Le néophyte y est comme ingurgité, digéré dans un circuit intestinal et serpentin avant d’être expulsé quelques circonvolutions plus tard à son point de départ. Tout ici est métaphore, et veut évoquer à la fois l’envers et l’endroit du monde en affirmant une ambivalence universelle. En franchissant le seuil, le visiteur abandonnera la raison occidentale pour entrer dans le temps circulaire des mondes archaïques.

Jean de Loisy, directeur du Palais de Tokyo, nous livre la quintessence de dix années de maturation théorique sur la question : qu’est-ce que l’art, qui sont les artistes ? Cette exposition est le troisième volet d’une trilogie commencée en l’an 2000 avec la « Beauté en Avignon », poursuivie à Beaubourg en 2008 avec les « Traces du sacré » et accomplie ici, avec « Les Maitres du désordre ».
Cette exposition relance aussi le débat qui agite depuis des années les anthropologues et ethnologues : les objets présentés dans le musée sont-ils de l’art ? Des objets de culte ? De sorcellerie ? L’identité du lieu même de l’exposition est aujourd’hui si incertaine que son nom (« Musée du Quai Branly ») est le reflet de cette indécision théorique. Les enjeux de cette exposition sont donc multiples.

Son contenu est inédit. Est-ce un exposé scientifique ? Une oeuvre d’art totale ? Un manifeste ? Les expertises des divers clergés sont ici convoquées : universitaires, administratifs et religieux. Y sont associés des anthropologues, des ethnologues, un inspecteur de la création-commissaire, des « artistes contemporains » et même un sorcier en chair et en os. Le message délivré ? Artistes contemporains et chamanes font appel à des pratiques semblables et remplissent la même fonction de médiation, celle de rétablir l’équilibre du monde. La preuve en est fournie par cet happening inédit du sorcier « exposé », activant et entretenant un autel vaudou. Curieusement, dans le même lieu, au même moment, une autre exposition, « Exhibition- l’invention du sauvage » décrit et dénonce précisément cette pratique « colonialiste », qui donne au public occidental des « sauvages » en spectacle !

Contradiction ou révolution ? Nous sommes ici dans le vif du sujet. La théorie développée tout le long du parcours discursif de Jean de Loisy part du constat de l’échec des grandes religions, du « grand art », », de la raison et de la civilisation. Le monde idéal où le bien, le vrai, le beau seraient gagnants in fine, est désigné comme illusoire.

Mais alors comment résoudre le problème du mal omniprésent ? Jean de Loisy rassure le visiteur, la solution est « en marge des grands panthéons ». Il faut avoir recours aux pouvoirs des médiateurs, des « hommes-limite », à des marginaux et impurs, qui pour cela même seront d’efficaces intercesseurs. Jadis, ils étaient sorciers, aujourd’hui ils sont « artistes contemporains ». Leur rôle relève désormais du service Public ! Par la vertu de cette exposition, le sorcier togolais Azé Kokovivina devient « intermittent du spectacle » moyennant quoi les « artistes contemporains » acquièrent la dimension chamanique. Ainsi se rejoignent rituels magiques et « procédures » de l’AC. L’Art contemporain devient une synthèse indépassable, de l’artiste, du prêtre, du sorcier, du savant et du fonctionnaire de l’art !

C’est l’apothéose de l’art, sa nouvelle définition.

« Les Maîtres du désordre », jusqu’au 29 juillet 2012, Musée du quai Branly.



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est graveur, essayiste. Elle vient de publier « Sacré Art contemporain- Évêques, inspecteurs et commissaires», Ed. Jean Cyrille Godefroy.

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