« Parlez doucement et tenez un gros bâton. Vous irez loin ! » La phrase du président américain Théodore Roosevelt est devenu un leitmotiv de la politique étrangère des États-Unis. Mais si ce bâton était jadis fait de puissance militaire et économique, depuis quelques décennies il se matérialise par l’extension de la juridiction des lois américaines sur la planète entière. Et quand ce nouveau bâton frappe, ça fait mal. À elle seule, la BNP Paribas, a dû payer en 2014 une amende 8,9 milliards de dollars.
Comme l’explique le spécialiste français de la question, Olivier de Maison Rouge (pages 24-26), cette nouvelle dimension de la puissance américaine est fondée sur un principe simple : l’extraterritorialité du droit américain. Pour peu qu’une entreprise non américaine opérant à l’étranger ait un lien, serait-il fort ténu, avec les États-Unis, les tribunaux US peuvent la poursuivre. Il suffit qu’une personne morale ou physique utilise des dollars ou une technologie américaine pour que les lois votées par le Congrès s’appliquent à elle. Cela, bien sûr, sous couvert de moralisation des relations internationales.
C’est donc une véritable stratégie que mènent les États-Unis en mettant leurs agences de renseignement et de justice au service de leurs entreprises. Ainsi, quand Donald Trump a unilatéralement décidé de reprendre les sanctions contre l’Iran, Total et PSA ont été obligées de suivre Washington plutôt que Paris, qui souhaitait respecter l’accord signé, notamment par les États-Unis.
Cette logique de puissance, suggère Guillaume Marchand dans une enquête exclusive pour Causeur (pages 20-23), est probablement la matrice de l’affaire « Tuna Bonds », un gros contrat de vente au Mozambique de thoniers et de vedettes rapides impliquant un chantier naval français. Dans cette histoire compliquée de pots-de-vin et de commissions douteuses versés dans un pays africain pauvre, c’est la justice américaine qui s’est arrogé le rôle du gendarme… et, curieuse coïncidence !, ce sont des entreprises américaines liées à la défense qui mettent la main sur les marchés abandonnés par les Français et avancent leurs pions dans le canal de Mozambique.
Cette politique de la force habillée en droit, qui a cours depuis une vingtaine d’années, ne laisse pas d’irriter Paris qui avait fait savoir, par son ministre des Affaires étrangères de l’époque, que la France la jugeait inacceptable. L’Europe des Quinze, en 1996, avait pour sa part promis de riposter fermement. Les lourdes amendes payées par des entreprises françaises, et l’alignement européen sur la politique américaine vis-à-vis de l’Iran, indiquent que ces mots fermes n’ont pas été suivis d’effets. Autrement dit, cette guerre discrète, menée au nom du bien, la France est en train de la perdre.