Michel Audiard, dernier recours avant liquidation totale de la maison France
Quand tout déraille, quand tout débloque, quand même la météo se met à chanceler, le citoyen du mois de mai se tourne, une fois encore, vers les moralistes du passé. Les bibliothèques font office de déambulateurs, elles servent à avancer cahin-caha dans une mondialisation boueuse. Ça patine grave en ce moment ! Que cherche-t-on exactement dans les rayons du savoir ? Moins une raison d’espérer un avenir radieux, nous n’avons plus ces illusions bêtes en tête (Mitterrand est passé par là) que la confirmation d’un système vérolé, paralysé et absurde, signe de notre impuissance. On se repaît de nos faiblesses, on théorise notre constat d’échec, à la veillée. Qu’est-ce que le malheur tient chaud les soirs de COVID et de couvre-feu. Ce délitement général a fini par nous définir et cerner notre identité pusillanime. Notre déclin en marche n’est ni une surprise, ni une malédiction, seulement la fin d’un long voyage. Nous arrivons au terminus des prétentieux. En France, les révolutions finissent en thèses et ouvrages reliés pleine fleur. Toujours cette fâcheuse manie des professions intellectuelles et des marins de vouloir faire des phrases alors que notre défense a été percée. Donnez-leur des livres et des débats, vous aurez la paix sociale ! À vrai dire, nous sommes fatigués du cirque de ces dernières années et, pourtant le côté farce de notre vie politique avait quelque chose d’assez jouissif et comique. Mais là, nous n’avons plus la force d’en rire et encore moins de nous insurger. Alors, face au mur, par habitude et désœuvrement, on se réfugie dans la pensée des grands anciens. À la source de la dialectique des fous. Facilité honteuse, évitement de la réalité, aveuglement bourgeois, me direz-vous ? Réflexe de survie, fatigue morale et peur du combat, je vous répondrai.
Parmi ces philosophes du désespoir censés nous faire passer l’amère pilule de notre déclassement sanitaire, sécuritaire, économique et éducatif, une figure m’est apparue. Éclatante d’amertume et de gaudriole. Solaire et vénéneuse. Poujado-réactionnaire et anarcho-poétique. L’icône de Denfert ! Le p’tit cycliste du XIVème à casquette qui troqua, un jour, les pinces à vélo en gants de pécari pour conduire sa Ferrari ! Le Lion n’en revenait pas, il avait vu ce gamin pouilleux du quartier, végéter avec sa clique de traîne-savates. Comment imaginer alors qu’il symboliserait désormais l’excellence française ? Merveilleux exemple de la méritocratie et de l’ascenseur social façon TGV. Seulement muni d’un certif’, il gagna sa vie en changeant les mots en liquidités. Un miracle comme il s’en produit rarement dans l’Histoire de l’écrit et aussi un guide pour tous les plumitifs précaires. Nous savions qu’au royaume des mots, il existait un type pas très grand, pas très franc du collier, secret et atrocement doué, capable de braquer la caisse des éditeurs et des producteurs. Chapeau l’artiste ! Nous avons fêté l’anniversaire de Michel Audiard (1920-1985) à la mi-mai, il y a donc seulement quelques jours. Son centenaire fut célébré en 2020, même si la pandémie a gâché un peu l’événement. Il a manqué un livre sortant des sentiers battus du pinardier marrant et du misogyne goguenard non repentant. Chaque année, sans discontinuité, depuis maintenant des décennies, ses mots se ramassent à la pelle. Dialoguiste devenu tête de gondole sur le marché de la vanne, Audiard sert à vendre tout et n’importe quoi. Il suffit d’afficher sur la jaquette d’un DVD, le bandeau d’un livre ou à la Une des magazines, sa trogne pincée et sa cigarette consumée, pour que la machine à souvenirs s’enclenche. Vieil orgue de barbarie qui n’en finit pas de geindre la mélopée des fortifs, du zinc et des siphons, de l’Occup’et du cinéma à papa, des cuites normandes aux casses de la Riviera, d’une suite de l’Hôtel de la Trémoille à Dourdan-plage, de Simonin en arpète de la préparation de texte à Gabin, le dabe en personne. L’image d’Épinal figée dans le kir et la naphtaline, rognons à la moutarde et p’tit salé aux lentilles a tendance à m’agacer. La caricature me dérange, me débecte même. C’est la rançon de la gloire, il y a une part de vérité dans ce folklore mis en scène par lui-même mais on passe à côté, me semble-t-il, de l’essentiel. Résumer Audiard aux nappes à carreaux, au « Gai Paris » et aux maquereaux qui sortent des tirades du Littré est une mythologie pour feignasses. Car, de tout ce matériel littéraire comme disent les universitaires, demeure une langue. Perfide et ensorceleuse. Subsiste une rythmique de la mouise. Le désenchantement lui colle à la peau. Un héritage court de Villon à Céline, de Valery aux Pieds nickelés. Audiard se suspend en équilibre instable au-dessus du vide. Si le fond est noir, le cœur meurtri, presque inguérissable, la misanthropie suintante, la mauvaise foi à la boutonnière, il ne s’effondre pas. Bravache et mordante, sa prose oscille entre le suicide permanent et le sursaut comique, salvateur, ne surtout pas s’enkyster dans une pose sérieuse comme tous les autres. Le chemin est chaotique.
Même dans ses textes les plus intimes « La nuit, le jour et toutes les autres nuits », la formule érotico-poissarde vient dégoupiller l’atmosphère asphyxiante. Audiard travaillait à la limite de l’implosion ce qui donnait une force désespérée à ses cris étouffés. Pour mieux appréhender ce phénomène, vient de sortir aux éditions mare & martin, un ouvrage érudit Les lois de Michel Audiard sous-titré « Liberté, Fraternité, Égalité » de Fabrice Defferrard qui enseigne le droit à l’université de Reims. L’angle d’attaque est très original, un plongeon dans la France juridique et judiciaire d’Audiard où les notions d’ordre et de désordre, de liberté et d’argent, de République et de corps constitués sont abordées à l’aune de son œuvre cinématographique. « Vouloir parler couramment « l’Audiard » exigerait de son candidat l’assimilation d’un très riche vocabulaire et de nombreuses expressions, l’apprentissage d’un rythme, d’un certain phrasé et, bien entendu, une culture générale aussi vaste que bigarrée » écrit très justement l’auteur. Cette langue-là est ce qui reste quand tout s’effondre autour de nous.
Les lois de Michel Audiard – Liberté, Fraternité, Égalité de Fabrice Defferrard – mare & martin – Droit & Cinéma
Les lois de Michel Audiard: Liberté, fraternité, égalité
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