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Histoires (d’amour) courtes

"Les liens sacrés du mariage", Franck Courtès (Gallimard, 2022)


Histoires (d’amour) courtes
L'ancien photographe et écrivain © Franck Courtès BALTEL/SIPA/SIPA

Dans Les liens sacrés du mariage, l’écrivain Franck Courtès réunit des nouvelles sur des couples fuyant la ville…


L’écrivain et ancien photographe Franck Courtès vient de sortir un recueil de nouvelles : Les liens sacrés du mariage, chez Gallimard.

Quiconque a la nouvelle pour genre littéraire préféré a sauté de joie.

L’auteur vient de plus d’apprendre qu’il est sur la liste des finalistes du Goncourt de la nouvelle, à l’heure où nous écrivons ces lignes. Et cela est amplement mérité.

Si la nouvelle est le genre littéraire préféré de votre servante, il ne l’est pas des lecteurs français, et les éditeurs restent souvent très frileux quant à leur publication. Cependant, Franck Courtès a commencé sa carrière d’écrivain en 2013 avec un recueil de nouvelles : Autorisation de pratiquer la course à pied, et cela reste à ce jour ses meilleures ventes. Allez comprendre ! Bon, nous sommes quand même au pays de Maupassant, nouvelliste de génie. C’est peut-être là que réside le problème, finalement.

La nouvelle, un genre si délicat

C’est dans Mediapart (tout arrive), dans un article de 2019 intitulé : « La nouvelle en France, beaucoup d’auteurs, peu de lecteurs » que j’ai trouvé quelques réponses intéressantes à ce questionnement au sujet du mépris français pour la nouvelle, genre qui pourtant nécessite délicatesse et virtuosité. Gilles Marchand, auteur de nouvelles, y affirme ceci : « La France, qui ne lit plus ses poètes contemporains, boude ses nouvellistes et reste le pays de la dictature du roman ». Paradoxalement, en 1999, Anna Gavalda vendit deux millions d’exemplaires de son recueil Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part. C’est décidément à n’y rien comprendre ! Notez qu’il est de bon ton de dénigrer Gavalda, considérée comme auteur mainstream pour semi-bobos. Cependant, son recueil de nouvelles était à mon sens très réussi. La jeune fille que j’étais encore à l’époque s’est délectée de la manière dont elle définissait les hommes « qui ne veulent pas s’attacher » : ce sont des « poêles Téfal », écrivait-elle dans une formule à la Bridget Jones. Toute une époque.

Alors, quel est le problème ? Les auteurs ont très certainement du mal à se débarrasser de l’ombre de Maupassant, indépassable et indépassé : « En France, tout se passe comme si la nouvelle n’avait jamais vraiment réussi à se défaire de la forme héritée du XIXéme siècle, dont Maupassant constitue à la fois l’aboutissement et le point de fixation » expliqueGilles Marchand. En Russie, pays de littérature faite de bruit et de fureur, le dramaturge Anton Tchekhov a réussi à distiller la sourde et légère nostalgie de l’agonie de la Grande Russie dans ses nouvelles. Aux Etats Unis, pays qui a inventé la nouvelle du XXème siècle, nous avons Raymond Carver, qui, par son économie de mots, sa façon d’exprimer la solitude dans un couple par une chaise vide et de la vaisselle sale, a élevé la nouvelle au rang d’Art majeur.

Le renouveau de la nouvelle en France

La France serait-elle donc prêtre à accueillir un nouvelliste de talent et surtout à reconnaître le genre ? Comme je l’ai précisé plus haut, Franck Courtès est un ancien photographe. C’était surtout un portraitiste – il a notamment photographié Derrida dans des toilettes. Il a abandonné son métier car il ne s’y reconnaissait plus Il s’en est expliqué en 2018 dans un récit, La dernière photo, où il déplorait notamment le fait qu’avec l’apparition du numérique tout le monde puisse s’improviser photographe. Lui qui considérait son métier comme un artisanat, avec le plaisir presque sensuel que lui procurait la pénombre au moment du développement.

Il se lance alors dans l’écriture, et réussit à faire le lien entre écriture et photographie. Car Courtès écrit comme on photographie, tout en précision et subtilité. Avec un sens du détail exacerbé, qui n’est pas sans rappeler la théorie du punctum de Roland Barthes, développé dans La chambre claire en 1980. Pour Barthes, le punctum est « ce qui me point, le détail qui attire l’attention du « je » ». Effectivement, Courtès décrit dans ses nouvelles le délitement du couple en focalisant sur des objets, ou des images. Ainsi dans Quelque chose de risqué, qui met en scène un couple de jeunes retraités exilés à la campagne, nous comprenons le presque dégoût que l’époux éprouve pour l’épouse lorsqu’il s’aperçoit que celle-ci ne se teint plus les cheveux : « Les cheveux de ma femme sentaient le produit cosmétique, la teinture qu’elle avait négligée. Ca formait au-dessus de sa tête une sorte de calotte blanche. Je n’aurais pas été moins dégoûté si j’avais appris qu’elle ne changeait pas de sous-vêtements ». Cette calotte blanche représente le punctum dont parle Barthes, et nous dit que le temps est assassin…

La plupart des couples décrits se retirent à la campagne, pour fuir Paris et essayer de vivre une autre vie, mais cela ne marche jamais. Au contraire, la chute s’en trouve précipitée. La maison n’est jamais réconfortante, elle participe à la dislocation du couple et, ironiquement – comme dans l’étymologie de foyer (feu) – elle achève l’œuvre mortifère de l’habitude et du temps en brûlant tout sur son passage.

Enfin, c’est un château de sable, qui, dans la nouvelle du même nom, consolide, et même finit par bâtir la relation entre un père divorcé et son jeune fils: « Cyril s’appliqua, tassa le sable humide dans le  seau, retint l’anse d’un doigt et bascula le tout au sommet du monticule. L’enfant le regardait faire comme si sa vie en dépendait ». L’auteur nous signifie là, que l’amour, les liens sacrés du mariage sont aussi fragiles qu’un château de sable, et que finalement ils prennent souvent « des chemins dont on a pas idée ».

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est enseignante.

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