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Les larmes de Durutti


Les larmes de Durutti
Antonio Gaudi, Parc Güell, à Barcelone.
Antonio Gaudi, Parc Güell, à Barcelone.
Antonio Gaudi, Parc Güell, à Barcelone.

Le capitalisme et son cheval de Troie, l’Europe de Bruxelles, détestent les Etats-nations pour trois raisons.

D’abord, ils représentent la force révolutionnaire du passé contre une amnésie technocratique et, quand il arrive à une nation de se souvenir qu’elle a été belle, il lui revient de jolies couleurs. Elle n’a plus forcément envie de se soumettre aux diktats les plus orwelliens sur la part du déficit dans le PIB, elle regarde avec nostalgie la face nationale des pièce d’euro et se dit tout de même que le profil de Dante, celui de Pessoa ou la silhouette de Marianne indiquent le souvenir d’un monde où il était possible d’avoir un destin et de raconter ce destin. Du coup, elle se met à voter non à un référendum et il faut tricher comme dans les républiques bananières d’avant Chavez pour faire passer les différents traités. On peut attendre longtemps, à notre avis, le récit fondateur qui mettra en vers Delors, Barroso, Van Rompuy ou Jean-Claude Trichet. Les Rabelais et les Shakespeare de l’avenir ne vont pas avoir grand chose à raconter sur l’orthodoxie de la banque centrale de Francfort, sur les séances plénières du Parlement de Strasbourg ou sur les discours d’un commissaire à la Concurrence. Ou alors – il faut toujours faire confiance à la littérature –, il y aura bien un nouveau Kafka avec un sourire désespéré ou un Swift pince sans rire qui cingleront les ridicules gris de cette engeance bureaucratique. Mais dans quelle langue le feront-ils, dans quel sabir monocolore, dans quel volapuk fade ou, au contraire, dans quel ruthène obscur, dans quel gagaouze improbable, au nom de la diversité linguistique qui vous permet d’être compris de votre village mais pas de celui d’à côté ?

Ensuite, autre pêché impardonnable, les Etats-Nations sont le lieu de solidarités non-marchandes issues d’histoires glorieuses qui vont des Diggers anglais sous Cromwell aux paysans sans terre de Don Sturzo en Italie, des Canuts de Lyon contre Louis-Philippe aux grandes grèves de 1936 sous le Front populaire. Les assauts répétés de tous les gouvernements européistes depuis Giscard contre le « modèle social français » ont provoqué, en 1995 comme en 2003, d’étonnants hivers et d’étonnants printemps d’un peuple qui s’est souvenu qu’il avait quand même tenté la première expérience socialiste réussie, la Commune, avant que, déjà, la bourgeoisie, préférant toujours sa classe à sa nation, ne brisât le rêve avec Monsieur Thiers travaillant sous l’œil attentif des soldats prussiens.

Mais enfin et surtout, les Etats-Nations représentent, sur le plan géopolitique, une masse critique qui permettrait de résister à la dictature molle de la Commission européenne, voire de dire ciao bella à l’Union pour retrouver le vent du grand large.

Alors, évidemment, à Bruxelles, on a les yeux de Chimène pour tous les micronationalismes durs fondés sur des bases ethniques et sur l’égoïsme économique. On n’a pas été capable de trouver un accord sur un salaire minimum européen, mais on a présenté comme impératif une charte européenne sur les langues régionales. La France, dans un sursaut de lucidité jacobine, a refusé de la ratifier – ce qui nous donne un sursis avant que les bobos bretons n’ouvrent la boite du Pandore régionaliste avec leurs écoles diwan et que les poètes du Félibre maurassien se retrouvent au programme des sixièmes d’Occitanie.

L’explosion de la Yougoslavie, puis la constitution piranésienne de la Bosnie-Herzégovine, avait été le laboratoire de cette politique de fragmentation dans les années 1990. Il ne faut pas oublier que tout avait commencé en 1991 par la sécession de la Slovénie, ethniquement homogène et économiquement viable toute seule mais pas assez grande pour former un de ces « poids lourds » qui peuvent toujours avoir des retours de fierté. On sait également les envies padaniennes d’Umberto Bossi, qui aimerait bien se séparer du Mezzogiorno, peuplé de fainéants, de mafieux et de camoristes divers. Et ne parlons pas de la Belgique qui donne l’impression de vivre son dernier quart d’heure toutes les semaines, malgré son art du compromis. L’idée d’un divorce, à peine amiable, entre les Flamands, qui sont beaux, blonds, industrieux, jeunes et ont le sens des affaires, et les Wallons, qui sont bruns, alcooliques, socialistes et boivent leur minimex dans des estaminets près d’usines désaffectées, aurait déjà été concrétisée si, par malheur pour l’UE, la capitale de la Belgique n’était aussi la sienne, ce qui la foutrait mal en cas de partition à la Tchèque.

Les derniers en date à succomber à cette balkanisation programmée semblent être les Catalans. Ils ont déjà compétence sur l’enseignement (on n’enseigne plus le castillan dans les écoles primaires de Barcelone), la police, la fiscalité. Cela ne leur suffit pas, ils n’ont plus envie de rester avec l’Andalousie, qui recommence à être pleine d’Arabes saisonniers et d’agriculteurs illettrés. Les nationalistes ont donc organisé un referendum ce dimanche qui n’aura aucune valeur légale mais dont la question, assurée d’un oui franc et massif, est claire : « Etes-vous favorable à ce que la Catalogne soit un Etat souverain, social et démocratique, intégré dans l’Union européenne ? » Ils sont 700 000, les Catalans : ça nous fera encore un micro Etat après Malte, les Pays Baltes ou Chypre.

Il semblerait, aux dernières nouvelles, que la participation ait été faible. Peut-être se sont-ils souvenus que Barcelone fut la capitale de l’anarcho-syndicalisme pendant la guerre d’Espagne et que le célèbre Durruti, anarchiste, combattant et martyr, organisa la résistance de la ville contre les franquistes et avait pour habitude de dire : « Nous allons recevoir le monde en héritage. La bourgeoisie peut bien faire sauter et démolir son monde à elle avant de quitter la scène de l’Histoire. Nous portons un monde nouveau dans nos cœurs. »



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