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Les jeunes con-platistes

En Chine, les moins de 14 ans ne peuvent utiliser TikTok plus de 40 minutes par jour. Faut-il s'en inspirer?


Les jeunes con-platistes
D.R.

Comparé aux délires complotistes qui circulent sur les réseaux sociaux, le dieudonnisme semble presque raisonnable. Grâce à Facebook, Twitter et TikTok des millions d’abrutis – occidentaux – sont convaincus que la Terre est plate et que Darwin a eu tort. Impossible d’imaginer les conséquences d’un tel abêtissement planétaire.


L’éviction progressive de Dieudonné des plateaux télé, puis des scènes de théâtre, en un mot, la censure qui l’a visé, a-t-elle renforcé la popularité de ses thèses ? Lorsque l’on compare la situation des États-Unis à celle de la France, l’idée selon laquelle les censeurs feraient, en réalité, le jeu du complotisme ne résiste pas à l’analyse. Protégés par le premier amendement de leur Constitution, la large liberté d’expression dont les Américains bénéficient n’empêche nullement les théories complotistes de s’y épanouir aussi bien qu’en Europe. Les délires pédo-satanistes de QAnon démontrent que, censure ou pas, les complotismes fleurissent en toutes circonstances.

29% des utilisateurs de TikTok sont ainsi persuadés que la Terre est plate, 20% que les Américains n’ont jamais marché sur la Lune

Malgré les interdictions qui ont frappé son animateur, le Dieudonnisme a donc pu survivre et se répandre grâce aux réseaux sociaux, outils d’une révolution majeure et pourtant largement impensée. Passer trois heures par jour sur Facebook, Twitter et TikTok a des conséquences cognitives sur chacun des utilisateurs. Et cette nouvelle addiction n’a rien d’anodin pour la collectivité à laquelle est censé appartenir le demeuré qui « scrolle » d’ineptes vidéos à longueur de journée.

Volumes comparés de l’utilisation quotidienne de chaque application. Chiffres moyens en minutes pour les versions Android (2e
trimestre 2022) Source : Sensor Tower Consumer Intelligence

« La mauvaise monnaie chasse la bonne » théorisent les économistes – et il semble en aller de même pour les contenus plébiscités par les tiktokeurs. Les plus abrutissants sont complaisamment mis en avant par des algorithmes dont l’objectif est de vous garder spectateur aussi longtemps que possible – des équations perverses qui déclinent à l’infini ce que vous êtes censé aimer ou penser. Quelle que soit la branche de la bêtise qui vous intéresse, vous trouverez un écosystème riche en contenus, dont quelques influenceurs tirent les ficelles et parfois de substantiels bénéfices. La connerie a certes toujours été une des choses les mieux partagées, mais celle des temps anciens relevait, en comparaison, de l’artisanat local. TikTok et consorts semblent avoir pour projet l’abrutissement de toute une génération, dans des proportions planétaires. Les adultes, notamment ceux qui exercent le pouvoir, ne paraissent pas mesurer le grand abêtissement auquel sont confrontés leurs enfants ni ses conséquences glaçantes. Avec déjà de spectaculaires résultats : 29 % des utilisateurs de TikTok sont ainsi persuadés que la Terre est plate ; 20 % que les Américains n’ont jamais marché sur la Lune, sans parler de ceux, convaincus que Darwin a tort, mais que la Bible ou le Coran (surtout le Coran) a raison.

La situation peut se résumer en un constat aussi simple qu’effrayant : les générations qui arrivent sont statistiquement plus abruties que les précédentes – chez qui les « platistes » sont très marginaux. Une future « élite » bercée par des influenceurs décérébrés, et qui n’aura jamais ouvert un livre, présidera aux destinées d’une humanité persuadée que les pyramides ont été construites par des extra-terrestres – voilà le programme à ce stade.

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Les positions du gouvernement chinois relatives au temps d’exposition aux écrans de la jeunesse en général, en particulier les restrictions imposées à TikTok, devraient nous alerter. Les soupçons d’espionnage qui pèsent désormais sur toute technologie émanant de l’empire du Milieu constituent en eux-mêmes un argument suffisant pour réagir. Huawei fut heureusement écarté du marché de la 5G américaine (par l’horrible, mais lucide Trump), puis par la France et s’apprête à l’être en Allemagne. C’est au tour de TikTok d’être banni des portables des officiels français ou européens. Mais c’est l’utilisation même de l’application qui mérite d’être questionnée, en s’inspirant des restrictions mises en œuvre par l’administration de… Xi Jinping.

Interdire TikTok

En Chine, TikTok se nomme Douyin et se doit de vérifier l’âge de ses utilisateurs. Si l’on a moins de 14 ans, on ne peut la consulter plus de quarante minutes par jour ni après 22 heures. Au bout d’un certain temps, impossible d’enchaîner les vidéos sur un mode boulimique. Une chanson du groupe Phoenix vient s’intercaler et vous chante gentiment, en mandarin, « pose ton smartphone ». ByteDance, propriétaire de Douyin, rémunère par ailleurs des contenus jugés culturellement corrects – des vidéos de danses traditionnelles chinoises, par exemple. Sans aller jusqu’à imposer des séquences de bourrée auvergnate à nos collégiens, il paraît urgent de s’inspirer de mesures qui visent à sauvegarder les neurones des plus jeunes.

S’il est envisageable d’interdire TikTok, la consommation hystérique de vidéos débiles ne s’arrêtera pas pour autant, sauf à simultanément bannir Snapchat, Instagram, Facebook, Twitter et tous les autres. Sans doute l’alliance de la limitation horaire et de la réglementation des algorithmes offrirait-elle des résultats probants. On pourrait, par exemple, obliger les Gafam à proposer aux platistes des contenus leur démontrant que la rotondité de notre planète n’est pas une théorie. Et imposer quelques centaines de millions de dollars d’amende aux réseaux dont les algorithmes continueraient à promouvoir des thèses délirantes. Ces solutions – et d’autres – doivent être inventées, mais aucune n’émergera tant que nous n’aurons pas pris la mesure des dégâts monstrueux infligés par les réseaux sociaux à la connaissance scientifique ou à la sociabilité des générations à venir.

Imaginer que les Chinois utilisent sciemment TikTok pour laver le cerveau des jeunes Occidentaux, tout en limitant les méfaits de Douyin sur les méninges adolescentes chinoises, est-ce déjà du complotisme ? Se pose ainsi la délicate question de l’attribution du label « complotiste » au débat intellectuel. Si le platisme paraît chimiquement assez pur en termes de débilité, chacun voudra affubler les idées qu’il ne partage pas de l’infamant label. Le grand remplacement, le climato-scepticisme, les doutes sur les bienfaits de l’immigration d’un côté, le transgenrisme, le racisme systémique ou l’antispécisme de l’autre. Mais entre les réactionnaires et les progressistes, on sait que le choix des Gafam est fait. La perfection n’étant pas de ce monde, nous pourrions nous contenter d’imposer à leurs démoniaques équations algorithmiques de nous suggérer plus de contenus exposant des thèses contraires à celles que nous semblons chérir. Ce serait un peu comme obliger France Inter à nous passer quelques podcasts de CNews.

Avril 2023 – Causeur #111

Article extrait du Magazine Causeur




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Diplômé d'HEC, il a travaillé de nombreuses années dans la presse ("Le Figaro", "Le Nouvel Obs", "Libération", "Le Point", etc.). Affectionnant les anarchistes de droite tels Jean Yanne ou Pierre Desproges, il est devenu l'un des meilleurs spécialistes de Michel Audiard. On lui doit deux livres de référence sur le sujet : <em>Le Dico flingueur des Tontons</em> et <em>L'Encyclopédie d'Audiard</em> (Hugo & Cie).

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