Mahmoud Ahmadinejad n’en a pas cru ses oreilles. Le 24 novembre, en descendant de l’avion qui l’amenait au Venezuela, le président iranien – qui a pourtant ses habitudes à Caracas – a été accueilli au son de l’hymne de l’Iran impérial. Difficile de savoir qui, du chef de la fanfare vénézuélienne ou d’Ahmadinejad, était à ce moment-là le plus malheureux. Mais si les fausses notes du Venezuela sont, au pire, embarrassantes pour le régime, la petite musique qui monte ces derniers jours de l’AIEA peut se révéler beaucoup plus dangereuse : pour la première fois depuis plus de trois ans, le conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique vient de condamner l’Iran pour avoir dissimulé le site nucléaire de Qom. Pire, la Chine et la Russie, qui ont longtemps mis de l’eau dans le vin des Occidentaux, ont adopté cette résolution. De là à voter des sanctions au Conseil de Sécurité, le chemin reste long, mais un peu moins qu’il y a quelques semaines.
De toute évidence, Téhéran a été pris de court par la position de Moscou et de Pékin. En juin dernier, les Iraniens ont tendu un piège sophistiqué à la communauté internationale: ils ont demandé à l’AIEA de leur fournir de l’uranium enrichi à 20% pour un usage médical, puisqu’ils en ont le droit en tant que signataires du Traité de Non Prolifération. Sachant parfaitement que dans le climat de méfiance qu’il a volontairement instauré, les Occidentaux ne pourraient pas accepter sa demande, l’Iran tablait sur leur refus pour s’octroyer le droit d’augmenter le niveau d’enrichissement de 4% à 20%, tout en se présentant comme la victime. Sauf que les Américains n’ont pas mordu à l’hameçon. Il y a deux mois, au début du cycle actuel des négociations, l’AIEA a présenté un protocole élaboré par Washington : la Russie et la France enrichiront l’uranium iranien si Téhéran leur transfère les trois quarts des stocks d’uranium qu’elle enrichit illégalement.
Dans un premier temps, ébranlés par la découverte de leur centre nucléaire de Qom, les Iraniens n’ont pas fermé la porte, nourrissant ainsi une vague d’optimisme. À peine trois semaines après cette reprise de contact entre l’Iran et le groupe de six (Etats-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France et Allemagne), l’atmosphère a changé. Dans le courant du mois de novembre, les protagonistes, y compris Mohamed el-Baradei, le directeur sortant de l’Agence, ont admis que l’Iran ne cherchait pas une solution mais un prétexte pour poursuivre son propre programme nucléaire.
Même dans ce contexte, on a du mal à comprendre pourquoi Téhéran a proclamé son intention de construire dix sites supplémentaires d’enrichissement d’uranium. Non seulement la réalisation d’un tel projet est longue et difficile, mais les deux centres déjà connus et (à Natanz et à Qom) ont été construits clandestinement, et leur existence a été révélée par les services de renseignements occidentaux en 2002 et 2009. En réaction à cette provocation, même la Chine et la Russie se sont vues contraintes de voter avec les Etats-Unis, la France, l’Allemagne et l’Angleterre, ce qui constitue un échec important pour la diplomatie iranienne.
Pourquoi le régime est-il prêt à payer un prix si élevé pour une fanfaronnade inutile, voire contre-productive pour le programme lui-même ? Probablement parce qu’il estime que sa propre survie est menacée, non pas par une hypothétique frappe aérienne ou d’éventuelles sanctions, mais par une opposition qui pourrait endosser, en prime, le fait de laisser l’opposition endosser le rôle de défenseur du projet nucléaire.
Depuis les élections de juin, l’opposition a habillement récupéré des symboles majeurs de la Révolution islamique, à commencer par la couleur « vert islam » devenue – qui l’eût cru ? – presque subversive. Aujourd’hui, le mouvement vert et Moussavi s’emparent de la question nucléaire dont le régime, imprudemment, a fait le symbole de l’honneur national. Pendant la campagne, Moussavi a repris à son compte la formule chère à Ahmadinejad : « Le nucléaire est notre droit ». Aujourd’hui, il essaie de le doubler sur ce terrain, le privant ainsi d’un de ses meilleurs atouts.
Le raidissement des positions iraniennes révèle donc, plus qu’un changement dans la politique nucléaire de l’Iran, les énormes tensions au sein d’un régime en panne de légitimité qui voit la légitimité de l’atome – soigneusement cultivée comme une stratégie de pouvoir extérieur et intérieur – lui échapper au profit de ses adversaires. Avant de menacer qui que ce soit dans la région, la bombe iranienne pourrait bien, à terme, faire exploser la Révolution islamique elle-même.
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