On a beau se le cacher : les intrépides Iraniennes sont seules et celles qui ont été assassinées, magnifiques de courage et de résistance, ont été abandonnées. Le regard de Philippe Bilger.
Je sais qu’on va m’objecter, avec une conviction d’autant plus forte qu’elle palliera notre terrible impuissance, que j’exagère, que l’indignation est générale, que l’opprobre est universel et que la révolte iranienne, empêchée par la dictature islamiste de devenir révolution, est soutenue par une infinité de sensibilités et par tant de larmes versées. Et alors ? En quoi les Iraniennes sont-elles moins seules, confrontées à l’horrible rouleau compresseur qui les broie et les tue ? En quoi les hommages douloureux et attristés qui leur sont rendus les mettent-elles en meilleure position pour vaincre et même pour survivre ?
Cette immense hypocrisie internationale me répugne. On dénonce mais on ne fait rien. Les chefs d’État – certains du moins – expriment leur réprobation mais l’Iran s’en moque, voire se gausse. Beaucoup de bruit pour rien puisque la machine infernale, implacable, continue de sévir, invoquant, comme d’habitude, des complots étrangers et indifférente à la fureur d’un peuple, qui un jour tristement cessera parce que, n’obtenant aucun résultat, il se découragera.
Pourtant cette déplorable, tragique solitude des Iraniennes fait advenir, paraît-il, une solidarité qui, tranquille et confortable, veut se faire passer pour un soutien décisif. Même cette sincère et inefficace aide est par ailleurs pervertie par de honteuses provocations qui ont le front d’assimiler la lutte des jeunes femmes iraniennes contre le voile à celle des féministes françaises égarées pour lui. Les Iraniennes sont seules parce que rien de ce qu’on prétend accomplir en leur faveur n’aura le moindre effet. Aussi l’indignation qui connaît ses limites et s’accepte comme telle n’est pas blâmable : c’est la seule ressource de la plupart d’entre nous.
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Il paraît que les jeunes Iraniennes, sur Instagram, réclament ce compagnonnage capillaire si j’ose dire. Elles attendraient de leurs « sœurs » dans le monde cette même attitude ? Faut-il alors louer le comportement de ces femmes célèbres qui, se coupant une mèche de cheveux, profèrent : « Que les Iraniennes sachent qu’elles ne sont pas seules » ! Cela pourrait apparaître comme de l’indécence au plus haut degré. L’attitude de personnalités cherchant à faire valoir qu’elles en font plus que nous, que leur geste si facile à accomplir représente une chaleureuse empathie, un acte fort qui vont rendre éperdues de reconnaissance les jeunes Iraniennes, qui crient, protestent, enlèvent leur voile, refusent la mainmise pointilleuse sur leurs apparences et chantent « Pour » leur liberté. Même si elles l’ont désiré au nom d’un universalisme de bon aloi, je ne peux m’empêcher de sentir, sans doute par mauvais esprit, un goût douteux dans ce mimétisme qui représente une tentative dérisoire de combat en France quand elles meurent en Iran.
Et les nations civilisées, elles ne bougent pas. Je devine que ces êtres, ces femmes habituées à la lumière ne sont pas dupes une seconde en s’imaginant apporter ainsi de l’espérance aux ombres mortelles qui pèsent sur le destin de beaucoup d’Iraniennes (soutenues, et c’est un phénomène exceptionnel, par une majorité d’Iraniens). Elles comme nous, on fait ce qu’on peut mais de grâce qu’elles ne jouent pas la comédie quand elles n’ont plus à la jouer.
Je me rappelle un livre ancien de Plumyene et Lasierra qui, avec intuition et une sorte de pressentiment, mettaient en cause dans nos sociétés – je cite de mémoire – le système de ces « victimes imaginaires feignant de partager les souffrances des victimes trop réelles ». C’est exactement cela.
Tragiquement, les Iraniennes sont seules ! Qu’on ne vienne pas, avec une ironie saumâtre et en se gratifiant d’une solidarité qui ne coûte rien, en plus enfoncer un autre couteau symbolique dans leur plaie !
Il faudrait aller là-bas. Une Fanny Ardant qui n’a peur de rien en serait capable !
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