Alors que l’Union européenne impose à la Hongrie un véritable chantage à l’argent et que les bonnes consciences en remettent une couche sur ce pays qui, disent-ils, violerait les principes et les valeurs sacrées de l’Europe nouvelle, M. Pierre Waline, en réponse à un article où je dénonçais la chasse aux sorcières de Budapest, conclut que la Hongrie, « Jadis démocratie populaire, puis démocratie tout court (…) glisse de plus en plus vers la dictature d’une majorité, ce qui ne me semble pas un exemple à suivre ». Allégation qui, à son tour, appelle évidemment une réponse.
Rappelons que Monsieur Waline commençait son article en ces termes : « la question de la légitimité de la nouvelle constitution. Contrairement à ce que laisse entendre Frédéric Rouvillois, aucun mandat n’a été donné par le peuple à Viktor Orbán pour mettre en chantier un nouveau texte. »
A propos de la constitution de 1949, dont Pierre Waline affirme qu’elle fonctionnait à merveille, on se contentera de noter, d’une part, que la Hongrie était jusqu’ici le dernier pays d’Europe centrale à ne pas avoir abrogé sa constitution socialiste, laquelle fut simplement amendée par la loi du 23 octobre 1989 ; d’autre part, que cette loi de 1989 affirmait le caractère temporaire de la constitution ainsi amendée, laquelle était conçue comme un instrument de transition vers un État de droit.
Le problème, c’est qu’en vertu de la constitution de 1949, l’assemblée nationale ne peut modifier la constitution qu’à la majorité des deux tiers (article 24, 3). D’où l’impossibilité de satisfaire, pendant plus de deux décennies, au mandat constituant figurant dans la loi de 1989, mais aussi, dans le préambule de la constitution de 1949 révisée, qui dispose que le texte en question n’est fixé que « jusqu’à l’adoption de la nouvelle Constitution de notre patrie ».
Voilà pourquoi Victor Orban n’avait pas, lors des législatives de 2010, à demander aux électeurs un mandat spécifique pour établir une nouvelle constitution : ce mandat, en effet, figurait déjà dans le texte constitutionnel en vigueur, et il tombait donc sous le sens que, dès que pourrait être réunie la majorité des deux tiers prévue par l’article 24, l’Assemblée nationale devrait procéder à l’élaboration de ce texte, en attente depuis la chute du communisme.
A ce propos, M. Waline se demande pourquoi Victor Orban, au lieu de procéder à un référendum constituant, s’est contenté d’une « consultation nationale ». La réponse est toute simple : c’est parce qu’il avait parfaitement le droit d’effectuer cette dernière, alors qu’il lui était vraisemblablement interdit d’organiser un référendum constituant. Interdit, dans la mesure où la constitution, dans son article 19, 3, a), réserve exclusivement à l’Assemblée nationale la compétence constituante; tandis que l’article 28 C, 5, c) précise qu’un référendum ne peut porter sur « les dispositions de la Constitution relatives au référendum national ou à l’initiative populaire » : et donc, sur la constitution en général.
Dans ces conditions, une chose est absolument certaine : si Victor Orban, allant à l’encontre des règles figurant dans la constitution de 1949, avait organisé un référendum constituant – qu’il aurait sans doute remporté haut la main-, il aurait sans aucun doute été accusé de dérive populiste par ceux-là mêmes qui, aujourd’hui, lui reprochent de ne pas l’avoir fait.
Sur le fond du sujet, M. Pierre Waline dénonce la disposition relative au problème des Hongrois de l’étranger, visés par l’article D. Celui-ci précise que « La Hongrie (…) est responsable du sort des Hongrois vivant hors de ses frontières, elle encourage la conservation et le développement de leurs communautés, elle appuie leurs efforts visant à la conservation de leur hongarité, la réalisation de leurs droits individuels et collectifs, la création de leurs collectivités communautaires, leur bien-être sur leur terre natale, tout comme elle promeut leur entente entre elles et avec la Hongrie ». Ce dont il déduit, avec un tremblement d’horreur que « cela permet d’accorder la nationalité et le droit de vote à des ressortissants d’autres pays d’origine hongroise », et surtout, qu’à travers cette notion de « responsabilité », cela conduit la Hongrie à empiéter « sur la souveraineté des Etats voisins ! » On salue, au passage, cette attention pleine de sollicitude à l’égard du respect de la souveraineté des Etats. Mais on se permet de rappeler à M. Waline que la notion de « responsabilité » n’est pas, en tant que telle, aussi lourde de menaces qu’il affecte de le croire. Et qu’en outre, ce type de disposition se rencontre dans bien d’autres constitutions parfaitement conforme aux critères libéraux, en particulier celle des pays à forte immigration – sans que les bonnes âmes perdent leur temps à crier à l’impérialisme et à sonner le tocsin.
« Côté institutions, poursuit M. Waline, l’arbre de la Loi fondamentale cache une forêt de trente lois organiques votées au pas de course. » Ne lui en déplaise, c’est ce qui se passe toujours lorsque que l’on change de constitution : c’est ce qui eut lieu en France, à l’automne 1958, après l’adoption de la constitution de la Ve république. Quant au rythme accéléré de cette procédure, peut-être M. Pierre Waline préfère-t-il la lenteur consommée avec laquelle ont été adoptées certaines des lois organiques prévues par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 : presque deux ans avant qu’entre en vigueur la loi organique sur la question prioritaire de constitutionnalité, et trois ans et demi avant que ne soit enfin examinée la loi organique sur le référendum d’initiative populaire… Personnellement, j’inclinerais à penser qu’une adoption rapide est plus respectueuse du droit.
On pourrait continuer encore longtemps le petit jeu qui consiste à répliquer point par point. Pour ne pas lasser le lecteur, ni M. Waline, je voudrais, sur un mode plus personnel, avouer à celui-ci que je n’habite pas là Hongrie, que je n’ai même jamais eu la chance de m’y rendre, mais qu’en revanche, vivant en France, sous la Ve république, je trouve assez cocasse la description indignée que fait M. Waline de la situation hongroise, où « le président du conseil (Viktor Orbán) contrôle une Assemblée nationale entièrement sous sa coupe », et où « le législatif et l’exécutif sont bel et bien concentrés dans les mains d’un seul homme. ». Cela ne vous rappelle rien ? En somme, le général De Gaulle se serait sans doute fait taper sur les doigts par M. Waline, ce qui l’aurait bien fait rire. Il est vrai que lui aussi, comme Victor Orban, avait l’habitude de se faire traiter de dictateur…
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