Après lecture des innombrables commentaires de mon dernier article (merci à tous, au passage), je me rends compte qu’un aspect de ma pensée a échappé à nombre de mes contempteurs, ainsi qu’à certains de mes défenseurs. Rien d’étonnant à cela : il ne s’agit pas de quelque chose que j’ai dit, mais de quelque chose que je n’ai pas dit : à aucun moment, je ne me suis indigné que des milliers de jeunes Franco-maghrébins aient sifflé la Marseillaise au Stade de France, ni n’ai suggéré qu’on se devait de l’être. Et pour cause, ce qui m’a indigné dans cette affaire, c’est justement l’indignation générale.
Les huées elles-mêmes ne m’ont pas choqué. Depuis des mois, ce match était préparé pour qu’on n’y sifflât pas, pour venger l’affront des rencontres de 2001 et 2007 avec l’Algérie et le Maroc. Des escouades de travailleurs sociaux et de grands frères subventionnés avaient été dépêchés par la Fédération et les ministères concernés dans les cités, clubs de foot, associations de supporters, amicales de Tunisiens. Depuis des mois, ils expliquaient sur tous les tons aux jeunes Franco-tunes que c’était très mal de siffler la Marseillaise. Ceux-ci ont sûrement approuvé en masse ces sermons républicains. Et ils ont sans aucun doute réitéré leurs serments d’allégeance jusque dans les autocars qui les menaient de leurs banlieues au Stade de France. Le travailleur social est sans doute la seule catégorie d’humain qui ne sache pas ce qui va immanquablement arriver quand on interdit à un gamin de toucher au pot de confiture en haut de l’armoire.
Si j’utilise ici le mot de gamin, ce n’est pas tout à fait par hasard: les indignés de la République font semblant de ne pas savoir que ceux qu’ils accablent de toute l’éloquence de leur opprobre jauresso-déroulèdienne sont très majoritairement des enfants, des ados ou de très jeunes gens. Des gamins pour qui l’hymne national (tout comme le drapeau) est avant tout un truc qui sert aux supporters sur les stades. Il se trouve que ce soir-là, c’est l’équipe de Tunisie qu’ils étaient venus soutenir. Je soutiens les uns donc je siffle les autres, point-barre. Quiconque les accuse d’avoir délibérément conspué Valmy, Jean Moulin ou les institutions de la Ve République est un menteur ou un benêt : on ne siffle pas un truc dont, même si le niveau monte, on ignore jusqu’à l’existence. D’ailleurs comme on a essentiellement affaire à des franco-tunisiens, je suis persuadé que nos pourrisseurs de Marseillaise siffleraient avec le même entrain le Deutschland über alles en cas de France-Allemagne. Et si par miracle, la France s’était imposée à l’Euro 2007, on aurait vu nos désormais Honte-pour-la-France barbouillés de bleu blanc rouge hurler à tue-tête la Marseillaise à Corbeil, à Vénissieux ou à Aubagne.
Tout le monde ou presque a préféré ne pas voir ces évidences psychologiques et sociologiques de base, c’est-à-dire la joie que peut éprouver un gamin à violer gentiment un interdit de type parental ou officiel. Oui, gentiment ! Il n’y a quand même pas eu mort d’homme au Stade de France, ni injures raciales ni même échauffourées ordinaires entre supporters des deux équipes. Et pourtant toute la classe politique a préféré se vautrer dans le pathos, que ce soit pour attaquer ou pour défendre. A l’instar du président, toute la droite aura été grotesque depuis Fadela Amara (« La justice doit être exemplaire, il faut vraiment passer à la sanction, Pas de pitié avec ces gens-là ! ») jusqu’à Rachida Dati (« Des voyous ! ») en passant par Philippe de Villiers (« Siffler la Marseillaise, c’est siffler et insulter la France »), sans oublier les tartarinades pluriquotidiennes de Bernard Laporte, dont la dernière en date est pour dire qu’ »on en a trop fait », ce qui tend à démontrer que, comme le disait un de mes profs en terminale, « on » est un con !
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