Dans un essai érudit et plein d’esprit, Jacques Damade mène le lecteur à la découverte des îles disparues de Paris. Cette promenade à travers les siècles et l’histoire de notre capitale est un vrai régal.
D’après Jacques Hillairet, fameux historien de Paris, les îles disparues de Paris étaient huit. Fondateur des Éditions La Bibliothèque, Jacques Damade en a exhumé dix – et nous fait le tour du propriétaire. La géographie et l’histoire sont convoquées, la poésie fait des apparitions. L’ensemble est ludique, souriant et plein d’enseignements. Promeneur des deux rives, Damade musarde, guides anciens et cartes oubliées à la main (et caduques, puisque les îles ont disparu).
Souvent, en outre, il adopte le point de vue du piéton de Paris… du XVe, du XVIe, du XVIIe, voire du… XXIe siècle : Damade peut tout faire, il suffit de lui emboîter le pas. Tantôt il s’incarne en tafouilleux (chiffonnier de la Seine), tantôt (entre autres) en « noyé » (Damade peut tout faire).
Dix îles, disions-nous – jusqu’au XVIe siècle pour la plupart. Les voici, nommons-les, c’est un carnet de bal – d’est en ouest, de l’amont à l’aval : l’île Louviers, l’île aux Vaches, l’île Notre-Dame, l’île aux Juifs, l’île à la Gourdaine (rien à voir avec « gourgandine »), l’île du Louvre, l’île aux Treilles, l’île de Seine, l’île Merdeuse, l’île Maquerelle.
Avec l’apparition des ponts et la disparition des îles, l’orientation à Paris se fera de moins en moins d’est en ouest ; de plus en plus en fonction des rives (droite et gauche).
Dix îles qui, pour ne pas arranger notre affaire, ont souvent changé de noms et de formes au gré du temps. Ce qui fait de ce livre rapide, elliptique, une manière d’enquête – ou d’archéologie : où ont-elles disparu ?
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Damade remonte le temps, le cours de la Seine et nous apprend, par exemple, que l’île Merdeuse doit « sans doute » – historien du dimanche (soir), Damade est précautionneux – son nom à un vieil égout « qui longe à ciel ouvert le ruisseau de Ménilmontant » et se jette dans la Seine « à la hauteur de la grille de Chaillot ». Large, « il parcourt la rive droite, recueille les égouts affluents : odeurs aux abords, alluvions à l’embouchure, apparence ocre » – bref, l’île Merdeuse, la plus à l’ouest des îles répertoriées.
Autre exemple où l’onomastique fait signe (et sens) : Maxime du Camp appelle « île des Cygnes » l’île dont le « premier nom était fort irrévérencieux » – « Île Maquerelle » jusqu’au début du règne de Louis XIV. Quant à « l’île aux Juifs » – devenue la place Dauphine – on vous laisse découvrir son lien avec… les Templiers.
Tout au long de cette promenade, l’onomastique joue des tours et un rôle déterminant : les indices sont rares mais existent, alibi et occasion de plonger dans quelques merveilles de bibliophilie, autre tropisme (gourmand) de Damade – tantôt Maxime du Camp, Félix et Louis Lazare, Henri Sauval, tantôt une gravure de Callot, un plan de Jouvin de Rochefort (1674), un paragraphe de Vidal de la Blache (« de Notre-Dame à la place de la Concorde, en passant par le Louvre, se déroulent successivement la gravité du XIIIe siècle, la grâce de la Renaissance, l’élégance du XVIIIe siècle »). L’ensemble est une illustration possible d’un octosyllabe de René Char : « Seules les traces font rêver. »
Les îles disparues de Paris, de Jacques Damade, illustrations d’Angèle Damade, Éditions La Bibliothèque, 2024. 180 pages
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