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Hou Hou fais-moi peur !


Ces dernières semaines, deux opuscules écrits par des égéries féminines du spectacle proposent de révéler la face noire de Marine Le Pen. Un piège bleu Marine et Le Front antinational, respectivement publiés – sinon écrits, diront les mauvaises langues- par Laurence Parisot et Nathalie Kosciusko-Morizet visent à dissuader les électeurs d’aller naviguer dans les eaux sombres du lepénisme. La ministre de l’Ecologie et la présidente du MEDEF en croisade contre la famille Le Pen, excusez du peu.

Dans son essai co-écrit avec sa consœur d’IPSOS Rose Lapresle, la patronne des patrons étaie un scoop tonitruant sur près de 150 pages : la présidente du Front National serait la fille d’un certain… Jean-Marie Le Pen ! Non, vous ne lisez pas un roman-photo gag de Jalons, il s’agit bien de l’idée directrice de ce que Laurent Ruquier a désigné comme « le livre idéal à mettre entre les mains de tous les animateurs qui inviteraient Marine Le Pen ». Comme l’a déclaré Parisot sur son plateau, « le diable c’est Jean-Marie Le Pen » (sic), d’où le caractère infréquentable de sa fille, coupable de ne pas avoir condamné les outrances verbales paternelles. Et comme on ne pactise pas avec le Malin (« c’est servir le populisme que de contribuer au spectacle » nous explique doctement l’héritière d’Ipsos dans un bel élan debordien), on ne saurait décemment débattre avec lui.

Que Marine Le Pen soit islamophobe, antisémite, voire carrément fantaisiste sur son programme économique copié-collé des fiches de Jacques Sapir, madame Parisot a le droit de le penser encore qu’on voudrait savoir précisément sur quels faits sont étayées ces graves accusations. Qu’à cela ne tienne, puisque cette famille sue le racisme et l’amateurisme par tous ses pores, notre brillante entrepreneur n’en ferait qu’une bouchée dans un débat radiotélévisé. Mais on ne discute pas avec Belzébuth, même avec des mains gantées. De toute façon, Laurence Parisot ne s’adresse pas à Marine Le Pen mais à « ses électeurs » aveuglés par leur « fausse conscience » néo-poujadiste. Eh oui, il suffisait d’y penser puisque le MEDEF vous le dit. Un beau cadeau de Noël avant l’heure pour Marine, ravie de pouvoir estampiller ses tracts et affiches d’un slogan en or : « Diabolisée par le MEDEF ! ».

Au moins faut-il reconnaître à Nathalie Kosciusko-Morizet une certaine dose de courage puisque – comble de l’audace- elle a pour sa part accepté de croiser le fer avec la candidate frontiste. L’ennui, c’est que la belle mécanique de son antifascisme éculé est en grande partie construite sur du sable. D’une part, NKM défend la nécessité de maintenir un haut degré d’immigration pour développer le pays, ce qui est son droit le plus strict. Non contente de citer Michèle Tribalat pour nuancer ce credo immigrationniste, Marine Le Pen pointe facilement les contradictions de l’écolo en chef de l’UMP. Nombre des objections de NKM pourraient en effet parfaitement s’adresser à …la Droite Populaire. Un exemple puisé sur le terrain des « valeurs » – c’est-à-dire celui d’un catéchisme moral réduit à sa plus simple expression : le député UMP Jean Auclair a fait fort en réclamant de favoriser l’embauche des « Français de souche » au détriment des enfants d’immigrés. Une préférence ethnique donc, ce que le Front National de papa n’eut jamais le culot de revendiquer publiquement – et qui serait en outre parfaitement inconstitutionnelle ! Mais refermons la parenthèse.

Un peu comme dans leur riposte pathétique au programme du PS, les ténors du parti présidentiel tirent systématiquement à côté dans leurs diatribes anti-Le Pen. Marine Le Pen et François Hollande n’auraient pas de programme mais des projets délétères et coûteux qui mettraient les finances du pays à sec. De la même manière, l’un et l’autre n’auraient aucune crédibilité, et les Français n’en seraient pas dupes, ce qui explique d’ailleurs le stakhanovisme de l’UMP à constituer des groupes de riposte. Le plus grand-guignolesque dans la stratégie anti-FN de NKM est sans doute l’ersatz d’analyse politique qui lui fait amalgamer la gauche et l’extrême droite. Bien sûr, il n’est pas déraisonnable d’apercevoir des « ponts » programmatiques entre la démondialisation à la sauce Montebourg et le protectionnisme national de Marine Le Pen, qui, jusqu’au premier tour de la primaire socialiste, se disputaient tous deux le vote populaire. Mais dans la bouche de notre chère ministre, la convergence objective entre tous ces opposants au libre-échangisme vire à la stigmatisation intuitu personae.
Le grand mirage rouge-brun serait de retour ! Assez comique pour une femme politique qui côtoie au gouvernement l’auteur du premier programme économique du Front National et se fait conseiller par un ancien leader national du FN et du MNR – désormais recyclé dans l’organigramme de l’UMP après un passage remarqué chez les villiéristes. Attention, le boomerang des attaques ad hominem peut parfois vous revenir en pleine face…

N’en déplaise à leurs aficionados, on trouve bien peu de cohérence chez NKM comme chez Laurence Parisot, dont on devine aisément les intentions politiciennes : faire perdurer l’hégémonie de la droite sur la scène politique pour l’une, assurer la perpétuation de l’alternance UMPS – la fameuse ! – pour l’autre en culpabilisant les vilains électeurs « populistes ».

Contre-productives au possible, leurs stratégies stigmatisantes font de Marine Le Pen ce qu’elle n’est pas : une candidate antisystème qui chamboulerait le fonctionnement du capitalisme et, partant, nos vies colonisées par l’horreur marchande. Leur naïveté confondante confirme le statut acquis par leur adversaire ; quels que soient les aléas des intentions de vote en sa faveur qui oscillent entre 15% et plus de 20% des voix, Marine Le Pen a d’ores et déjà gagné ses galons de cheftaine du « front national-étatique ».
C’est sous cette catégorie dépréciative que le regretté Jaime Semprun rangeait la ligue hétéroclite des nostalgiques de l’Etat-providence et du capitalisme de papa unis par « une sauce idéologique anti-mondialiste (liant) toutes sortes de rebuts avariés : républicains à la mode Chevènement-Séguin-Pasqua, débris staliniens, écologistes socialisants, gaucho-humanitaires en panne de militantisme et même néo-fascistes en mal de projet social »[1. Toutes les citations suivantes sont extraites du très beau livre de Jaime Semprun, L’abîme se repeuple, Encyclopédie des Nuisances, 1997]. Bien que cela hérisse les cheveux de nos amis gaullistes de gauche et autres républicains sociaux, Marine Le Pen a pris la tête de leur mouvance idéologique, fût-ce à leur corps défendant. L’heure n’est plus à l’inventaire des petites phrases xénophobes du père, à la quête du bras levé ou du sweat-shirt LoNDSAPe du premier nazillon venu, mais à la prise en compte de cet état de fait. Je comprends la douleur des militants de ce « parti de la stabilisation » qui ont été élevés au lait de l’antilepénisme vivifiant au nom de sacrosaintes valeurs de la République. Voir le piège se refermer sur leurs corps endoloris doit faire ricaner les vieux de la vieille du Front National, dont la sincérité de l’adhésion à l’option nationale-républicaine mariniste est de toute façon anecdotique.

Leur phagocytage de l’aile régulatrice du système économique n’appelle ni lendemains qui chantent ni nuit de cristal. Contrairement à ses contemptrices, Marine Le Pen a toutes les chances de n’être ni idiote ni utile. Viscéralement voué aux diktats de la croissance capitaliste, son interventionnisme étatique se contentera de panser des plaies purulentes sans bouleverser aucune des constantes de nos sociétés mécanisées.
Au surplus, Le Pen « ne pourrait prendre quelque consistance, comme relève politique, qu’à l’occasion de troubles graves, mais ce serait alors pour étaler son impuissance à restaurer quoi que ce soit.»

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est journaliste.

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