L’homme-à-l’Ehpad que décrit Bennasar avec une drôlerie féroce dans le dernier Causeur, « le regard vide, la voix éteinte, la b… en berne », c’est celui que, devançant l’âge et la médicamentation, l’Éducation nationale entend faire advenir. Professeurs, élèves, surveillants, rien de ce qui en porte les attributs n’échappe à l’obsolescence programmée du masculin. Il est malvenu, incongru, offensant d’être un homme : la cause est entendue. Reste à accélérer la marche vers l’avenir radieusement féminin, châtrer les récalcitrants, éliminer toute trace de virilité…
Aujourd’hui, plus de sept enseignants sur 10 sont des femmes. La féminisation du métier ne date pas d’hier. « Et le testiculaire, que devient-il au milieu d’un tel enjuponnement ? » se demandait Alain Golomb[1] en 2002.
Mais cette écrasante domination ne suffit plus : il convient désormais de déprofiler les garçons[2] et d’ôter aux élèves l’idée même du masculin.
Dans cette chasse au mâle, la première des cibles est le professeur. Trop autoritaire, trop vertical, pas assez maternant, pas franchement empathique. Anthropologiquement suprémaciste. D’ailleurs, l’oppression millénaire vécue par toutes et tous fait qu’il ne peut plus s’adresser aux filles sans se demander de quoi il sera accusé. Reprend-il une élève sur sa tenue vestimentaire, non conforme au règlement intérieur? Trop couvrante: il est raciste ; trop légère : il est sexiste. S’il fait du zèle (attention, les garçons peuvent mal interpréter les signaux que tu envoies…), il participe à la culture du viol. Peut-être même fait-il un transfert : c’est dans le bureau de la cheffe d’établissement, qui ne manquera pas d’analyser la situation, qu’il entamera sa déconstruction. Il a un différend avec une collègue : oh ! le macho ! Il gère sa classe avec fermeté : gare au traumatisme ! Il fait quelques bons mots et met quelques sales notes : on alerte la cellule de lutte contre le harcèlement. Alors, il se censure ; et souvent, il se tait. Celui qui est difficilement rééducable, dans l’affaire, c’est le professeur de sport. En dépit de ses efforts (« le prof de sport, m’dame, il choisit toujours des garçons pour les démonstrations ; alors nous, les filles, on lui a dit que c’était pas égalitaire ; après, il a choisi que des filles, alors du coup c’est pas juste »), il parle fort, il sort les muscles, il les bouscule, les petits chéris. Il flirte souvent avec la violence éducative ordinaire.
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On compte aussi sur les assistants d’éducation pour assurer la transition vers l’école de demain : l’École des femmes. Ils animent des ateliers de parole : comment dégenrer la cour de récréation (tous ces gars qui jouent au foot tandis que les pauvres filles n’ont d’autre choix que de papoter), la débitumer aussi (la paronymie est-elle fortuite ?), la végétaliser, enfin. Ou bien ils jouent avec les élèves : ça te dit, une petite partie de Monopoly (des inégalités) pour te défaire de tes préjugés sexistes et de tes stéréotypes de genre ? Ou encore, ils envoient les garçons « parler règles avec l’infirmière » [3]. Alors parfois, bien sûr, le pion qui sommeille en eux ressurgit, gueule et punit. Mais ça, c’est parce que la transition n’est pas achevée.
Et les élèves de sexe masculin? Eh bien ! ils ont parfois du mal à se conformer à ce programme rééducatif : ça castagne, ça drague lourdement, ça joue au foot. Mais Paris ne s’est pas défait en un jour ! On ne lâche rien ! Tu as 16/20 de moyenne et tu ne passes pas la balle aux filles? Pas de félicitations ce trimestre. Ça t’apprendra, vilain garçon.
Alors, moi-qui-suis-une-femme
Et une prof,
Moi qui enseigne à mes élèves que le moi est haïssable,
Que les temps ne le sont pas moins,
Moi,
Que ma cheffe d’établissement rend misogyne,
Qu’on accuse de virilisme,
Qui dois tant à mes profs mâles,
Aux profs discriminants, cassants, savants,
Au père qu’ils n’étaient pas mais dont ils étaient la figure,
Qui assiste, consternée, à cette débandade,
Malgré Brassens, malgré Fernande,
J’en appelle au retour des hommes dans la profession, des hommes, des vrais.
Et je conjure mon ministre, Papa Ndiaye, de sauver l’espèce
Plutôt que d’en sonner le glas.
[1] Profs et Cie, opuscule aux vertus thérapeutiques
[2] « On profile les garçons pour occuper les fonctions masculines d’autorité et de pouvoir », Baudelot, 2000, p.34, citée par Eduscol, « Comment les stéréotypes de genre influencent les choix d’orientation chez les adolescents ? », Filles et garçons à l’école, clichés en tous genres, Guide pédagogique à l’usage des équipes éducatives
[3] Paroles de ma cheffe
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