A quoi pense le président Sarkozy quand il se rase chaque matin ? Au second tour de 2012, bien sûr. La question du premier tour, elle, est pliée d’avance depuis déjà deux ans, faute de concurrent crédible à droite (je ne dis pas ça pour me moquer de DDV ou de Copé, mais un peu quand même). Le deuxième tour, comme je l’ai écrit ici avec Aimée Joubert, semble déjà largement gagné d’avance. Mais le président est d’un naturel anxieux et méticuleux. Quand on fait ce métier, c’est un vrai plus.
D’où sa volonté de blinder sa réélection, en ne comptant pas uniquement sur le trop-plein de candidats à gauche ni sur son trop-vide d’idées.
Et le président à raison de ne pas faire comme si la gauche était définitivement hors-course: certes, nombre de quadras du PS jouent, et on peut les comprendre, la défaite en rase campagne en 2012 pour mieux se placer pour 2017. Ce faisant, ils choisissent de faire exploser le PS dans sa forme actuelle, et renvoient pour de bon à l’hospice Titine et les icônes résiduelles du mitterrando-jospinisme (Ségolène, Delanoé, Fabius, Buffet etc). Mais ils prennent aussi le risque d’ouvrir un boulevard à d’autres concurrents non démonétisés et aptes à occuper le terrain dès la prochaine présidentielle (par exemple, et dans trois registres différents, Valls, Hamon ou Mélenchon). La gauche n’est non pas tout à fait sortie de la photo, elle le sera encore moins avec un candidat populaire et populiste, décidé à jouer la gauche réelle contre la gauche légale, bref à contourner les appareils par le bas, comme l’ont si bien fait en leur temps Mitterrand… et Sarkozy.
Le premier chantier du président consiste donc à détacher de la gauche une partie de son électorat. L’ouverture ne sera bien sûr pas la solution. Hier Kouchner et Bockel, demain Lang et Allègre, so what ? On est dans les opérations de prestige et de démoralisation de l’adversaire, mais tous ça ne chiffre pas beaucoup de divisions. L’ouverture politique ne fera pas bouger les lignes dans l’électorat, en revanche, l’ouverture sociologique peut le fire, et d’ailleurs, elle l’a déjà fait il y a deux ans, quand l’actuel président a marqué des points dans l’électorat ouvrier en se présentant comme le candidat de la feuille de paye.
Le problème, c’est qu’on aura du mal à rejouer sans rire le même film au prochain rendez-vous (d’autant plus que Chirac avait déjà fait le même bon gag en 95 avec la fracture sociale). Exit donc, les prolos et les fonctionnaires, qui revoteront à gauche ou resteront chez eux. Restent donc, parmi les populations traditionnellement liées à la gauche, les artistes, qu’on a su choyer avec Hadopi mais qui ne pèsent pas lourd dans l’isoloir. Restent aussi les gays, La droite ne ménage pas sa peine, mais la réconciliation prendra probablement du temps, pour cause de hiatus culturel profond.
En revanche, il existe, à gauche un vivier de voix que le président est bien décidé à plumer : les Français, et notamment les jeunes, issus de l’immigration, et pour parler plus clair, ceux qui se définissent comme noirs ou comme arabes , ou encore comme musulmans ( religion dont sont issus l’immense majorité des franco-africains). Les sondeurs ayant des pudeurs que les policiers n’ont pas, on sait peu de choses sur le vote des musulmans en France. Sauf une: il votent très majoritairement socialiste, la gauche de la gauche étant perçue comme impie, et la droite comme structurellement hostile aux immigrés.
C’est cette perception que le président est décidé à faire bouger, et il a commencé à le faire : il n’y aura plus jamais de gouvernement Sarkozy sans noir ou arabe, et ceux-ci seront toujours ostensiblement, comme Rama ou Fadala, issus des banlieues ou semblant l’être. Le président fait le pari que la jeunesse diverse se contrefiche des idéologies et se sent plus proche, du style sarkozyste (Rolex, baskets , gros mots, Rayban, jogging, soirées DVD et jolies femmes) que de la vulgate socialiste, parti des profs et fonctionnaires honnis.
Le malentendu, bien réel, entre la droite et la diversité est essentiellement mythologique ou archéologique (guerres coloniales, parti des riches, imputations d’islamophobie ou de judéophilie etc), le président pense qu’a force de travail et d’effets d’annonces aussi visibles que les minorités éponymes, il peut remettre les cadrans à zéro. C’est bien pourquoi il n’y aura jamais de loi sur la burqa, et que les juifs de France, qui ont voté en masse pour Sarkozy en pensant qu’il était structurellement ami d’Israël risquent de déchanter, tant pis pour eux, ils n’avaient qu’à être cinq millions.
C’est bien pourquoi, on continuera d’aller vers la discrimination positive, en prenant bien soin, cette fois, de dire qu’il s’agit d’une politique sociale et pas raciale, et en prenant bien soin aussi que ses bénéficiaires comprennent que c’est exactement la même chose, mais en plus présentable -de la même façon que le ministère de la Ville ne s’est jamais appelé ministère des banlieues pourries.
En 2007, 80 % des Français se définissant comme musulmans ont voté PS dès le premier tour. Ramener ce chiffre à 50 % est un objectif réaliste, il sera d’autant plus facilement à portée de main si on met en orbite un candidat ethnique apte à bâcher la gauche au premier tour et sarkocompatible au second tour.
Fadela, tu fais quoi en 2012 ?
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