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Parano persane

"Les graines du figuier sauvage", un film de Mohammad Rassoulof, mercredi prochain dans les salles


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"Les graines du figuier sauvage" de Mohammad Rasoulof, 2024 © Pyramide Distrib.

L’action des graines du figuier sauvage, le film choc iranien de Mohammad Rassoulof, se déroule en pleine affaire Mahsa Amini.


« Pendant longtemps, j’ai vécu sur une île au sud de l’Iran. Sur cette île, il y a quelques vieux figuiers sauvages dont le nom scientifique est « ficus religiosa ». Le cycle de vie de cet arbre m’a inspiré. Ses graines, contenues dans des déjections d’oiseau, chutent sur d’autres arbres. Elles germent dans les interstices des branches et les racines naissantes poussent vers le sol. De nouvelles branches surgissent et enlacent le tronc de l’arbre hôte jusqu’à l’étrangler. Le figuier sauvage se dresse enfin, libéré de son socle. » Voilà comment Mohammad Rassoulof explique le titre énigmatique de son dernier long métrage, Les graines du figuier sauvage.  

Femme, vie, liberté 

La métaphore s’éclaire vite. Iman, enquêteur de police tout juste promu juge d’instruction au sein du bienveillant appareil judiciaire de la République islamique d’Iran, partage à Téhéran, avec son épouse Najmeh et ses deux filles étudiantes Rezvan et Sana, un logis à l’ameublement confortable, ce qui désigne leur foyer comme appartenant à la classe « moyenne supérieure » de la société perse, si délicatement régentée par les mollahs.

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Si Iman se trouve du côté du manche, il bosse pourtant dans une capitale en ébullition : suite à la mort en garde à vue de Mahsa Amini, simplement arrêtée, on s’en souvient, pour s’être opposée au port obligatoire du voile, la jeunesse se soulève contre la dictature théocratique, à l’enseigne du slogan « Femme, vie, liberté ». Filmée par les smartphones, la répression aveugle qui s’abat sur les passants contraste avec l’image qu’en donne la télévision d’Etat, dans le poste perpétuellement allumé devant la table de salle à manger. Najmeh, femme d’ordre et bonne épouse musulmane, tâche de maintenir tant bien que mal la concorde au sein de la famille, clairement divisée par les événements : les filles ne sont pas dupes ; les réseaux sociaux diffusent sur leurs smartphones ces images des exactions que les parents refusent de voir.

© Pyramide

Révolver caché dans la commode

Dans ce contexte, la sécurité des magistrats laisse à désirer : s’ils rechignent souvent à appliquer les peines d’exécutions que les barbus exigent d’eux par milliers, leur visage n’en circule pas moins sur la Toile, cible désignée des opposants ; il vaut mieux être armé, même à son domicile : Iman planque donc dans la commode le revolver que sa hiérarchie lui a confié, au cas où. Un jour, il cherche l’arme : elle a disparu, tandis qu’à son insu ses propres filles ont hébergé pour la nuit une copine en fuite, blessée dans la manif. Si sa hiérarchie apprend la disparition de l’arme, non seulement la carrière du procureur est foutue, mais il risque trois ans de taule. Prise en étau entre son mari et sa progéniture, Najmeh tente en vain de calmer le jeu.  Car la paranoïa s’empare du sbire – miroir de celle du régime lui-même – au point qu’il oblige bientôt les siens à se prêter à un interrogatoire auprès d’un inquisiteur patenté (la séquence fait froid dans le dos). Au fil des conciliabules et tensions qui agitent le microcosme familial (les dialogues ciselés en rendent compte avec un art consommé) la situation, inexorablement, se détériore. Jusqu’au stade où le géniteur suspicieux va jusqu’à séquestrer ses propres enfants pour leur arracher la vérité. Remarquable est, dans Les graines du figuier sauvage, la figure ambigüe de Najemeh, la femme du monstre en puissance qu’est Iman : elle incarne cette posture instable où l’a placée, malgré elle et à ses dépens, la dictature archaïque dont son mari est le suppôt. Presque onirique, le dénouement prendra pour décor le labyrinthe d’une cité perdue où le cacique a forcé les siens à le suivre…  

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Le cinéma indépendant iranien (cf. Un héros, d’Asghar Farhadi, Les ombres persanes, de Mani Haghighi, ou encore les deux films précédents du même Mohammad Rassoulof, Le Diable n’existe pas, et son chef-d’œuvre, Un homme intègre) s’invente clandestinement, courageusement, presque miraculeusement contre le pouvoir en place, bien entendu sans autorisation officielle. Il prend appui, le plus souvent, sur un scénario implacable qui met aux prises les personnages avec la réalité kafkaïenne de la tyrannie théocratique, immiscée dans le moindre recoin de leur vie privée.  

Condamné en appel à huit ans de prison pour « collusion contre la sécurité nationale », Mohammad Rassoulof a réussi à fuir l’Iran à temps pour présenter son film à Cannes, dont le jury l’a récompensé à juste titre de son Prix spécial. À Rassoulof, l’Allemagne a accordé l’asile politique ; il vit désormais en exil. Demeurés au paradis persan, l’équipe et les comédiens, mais aussi leurs familles, ne s’y sentent pas tout à fait en sécurité…


Les graines du figuier sauvage. Film de Mohammad Rassoulof. Allemagne, France, Iran, couleur, 2024. Durée : 2h46. En salles le 18 septembre.




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