Dans les années 1960, Fernand Raynaud faisait rire avec son sketch « Les gens sont méchants ». Aujourd’hui, nous sommes obligés d’admettre que la drôlerie d’hier est devenue une plaie épouvantable.
Il suffit pour s’en convaincre, non seulement des terribles attaques antisémites contre April Benayoum (Miss Provence et 1ère dauphine de Miss France) mais aussi des insultes dont Amandine Petit, Miss France 2021, a été victime. La substance, en gros, étant qu’elle serait indigne de représenter la France…
L’antisémitisme délirant qui résulte de la simple énonciation par April Benayoum qu’elle a un père d’origine israélienne, est malheureusement trop fréquent soit qu’il résulte d’une abjection personnelle soit d’une instrumentalisation du conflit israélo-palestinien. Il s’est conjugué donc, à la suite de cette soirée d’élection des Miss regardée par beaucoup de téléspectateurs, avec une aigreur et des grossièretés déversées sur Amandine Petit.
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Comme si cette méchanceté, devenue une qualification presque désuète dans le registre moral, était revenue brutalement au premier plan et qu’elle révélait le besoin de détester, l’envie de salir et de haïr.
La grossièreté du verbe
Le Parquet de Paris a ordonné une enquête sur les insultes antisémites à l’encontre d’April Benayoum. Mais je ne suis pas sûr qu’il pourra intervenir pour toutes les « méchancetés » ordinaires et, s’il y a plainte, leur appliquer une qualification pénale.
Les gens sont méchants et ne peuvent plus se passer de la virulence de la contradiction et de la grossièreté du verbe.
Le président Macron a fait référence, dans son entretien à l’Express, à La Trahison des clercs, le livre de Julien Benda. Il a raison. Dans tous les espaces de la pensée, de la communication, en particulier sur les réseaux sociaux, beaucoup de clercs négligent les devoirs que leur statut, leur position devraient leur imposer et se vautrent avec délectation dans une fange dont on était pourtant sûr qu’elle leur était étrangère.
Si ces clercs – à mon égard, je songe en particulier à un Arnaud Viviant dérapant sans vergogne – trahissent leurs obligations avec une « méchanceté » gratuite, que peut-on espérer de beaucoup d’autres qui ne disposent ni de culture, ni de langage ni de privilèges?
Rien à voir avec la liberté d’expression
Ce mystère ne cesse pas de me troubler qui en totale transparence constitue certains comme des créateurs de malfaisance.
Non pas que cette exigence me mette à l’abri de tout. J’ai connu récemment un incident sur Sud Radio où ma passion exclusive de la liberté et de la vérité ne m’a pas rendu suffisamment attentif à la teneur des propos d’une auditrice. Mais j’essaie de me tenir le moins mal possible.
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Pourtant cette méchanceté qui sans cause ni motif – accordée avec ce constat qu’aujourd’hui chaque Français se définit ainsi : je me plains donc je suis – altère paroles et écrits, rapports et dialogues, s’insinue partout, devenant le premier mouvement de l’esprit, l’humeur initiale, le poison intime, est plus préoccupante que toutes les autres dérives de notre modernité. Rien à voir avec la richesse de la liberté d’expression, avec la rage de convaincre et le souci d’entendre.
Non, cet humain, mon frère, mon proche, ce citoyen, cet habitant, comme moi, de la terre, est méchant. Prendre de plein fouet cette certitude déprimante, on n’y peut rien, elle relève des tréfonds, de l’intime, de la pente de chacun, vous met dans un état de désolation, d’impuissance. Et de doute terrible.
Et si on l’était, méchant ?
Fernand Raynaud ne rirait plus.
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