Dans l’immense majorité des cas, les humains vivent à la surface de la terre, à l’exception des conducteurs de métro, des mineurs de fond, des troglodytes et des égoutiers qui demeurent dans les entrailles de la planète. D’autres humains vivent dans les airs ou le cosmos, comme les poseurs d’antennes, les chanteuses lyriques ou les pilotes de ligne, mais ce sont là des situations bien marginales. En vivant à la surface, l’homme moyen et la femme moyenne sont soutenus par le sol, et peuvent se promener main dans la main dans la campagne estivale pour profiter avec satisfaction du soleil – qui est nécessaire à leur bonne humeur et à la photosynthèse.
C’est là un bonheur dont furent privés une soixantaine de personnes, en Russie, victimes d’une secte islamique qui les faisait vivre reclus dans un bunker souterrain dont ils ne pouvaient ou « voulaient » sortir. L’AFP nous apprend ainsi que depuis plus de dix ans les adeptes du gourou Faïzrakhman Satarov, 85 ans, menaient une vie de véritables gaspards à Kazan, capitale du méconnu Tatarstan, république de Russie centrale de tradition musulmane, à 800 km à l’est de Moscou. Satarov, qui s’était autoproclamé prophète dès 1964 (ce qui est une initiative astucieuse à laquelle on ne songe que trop rarement…), imposait depuis une dizaine d’années à ses fidèles de vivre en autarcie totale, et refusait que les enfants de la communauté (au nombre d’une quinzaine) usent leurs fonds de culottes sur les bancs de l’école ou se fassent examiner par des médecins. Le bunker d’une surface totale de 700 m², construit sur huit niveaux comme un labyrinthe dans les sous-sols d’une mosquée elle-même clandestine, est composé d’un dédale de petites cellules sinistres où « les enfants vivaient dans des conditions insalubres, et sans aération », a précisé le ministère de l’intérieur.
Ces enfants qui n’avaient jamais vu la lumière du jour et ont été conçus – on l’imagine – dans les meilleures conditions envisageables dans l’antre délirante de Satarov (lieu qu’il a proclamé « Etat islamique indépendant »), ont donc fait connaissance brutalement avec le soleil grâce à l’intervention des forces de l’ordre qui ont investi les lieux et rendu leur liberté aux adeptes « faïzrakhmanistes » (ainsi se revendiquent-ils) prisonniers et fourvoyés. On sait pour le moment assez peu de choses de Satarov et de ses disciples. A la télévision on les a vu très pâles, barbus pour les hommes, voilées pour les femmes, et pour certains encore vindicatifs tel ce disciple ayant prévenu : « Ils pourront venir avec des bulldozers et des armes ! (pour démanteler le bunker, ndlr) Mais ils devront nous passer dessus pour détruire nos corps et liquider notre communauté ! »
Le paisible Tatarstan – dont la capitale Kazan sera l’hôte de la future coupe du monde de football 2018 – ne demandait certainement pas ce genre de publicité, à l’heure où les autorités locales cherchent à endiguer les mouvements islamistes radicaux « sérieux ». C’est bien en enquêtant sur ces derniers qu’ils sont tombés par hasard sur cette secte à l’islam hors format et sur son ridicule gourou octogénaire se présentant comme le « Second prophète de l’islam ». C’est ainsi, parfois, qu’en luttant contre la peste, on en vient à guérir certains malades du choléra. Il ne reste plus qu’à savoir si l’histoire inspirera un scénariste pour un long métrage de cinéma. On suggère un titre, qui a déjà fait ses preuves : Underground. Ou encore Les gaspards. Je vois bien Philippe Noiret dans le rôle du prophète fou…
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