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Les gardiens de la révolution verte

Les "éveillés" du climat rêvent de forcer les consciences.


Interdire le questionnement, réprimer l’opposition, contrôler l’information, censurer l’humour et traquer la moindre déviance jusque dans la vie privée… Ainsi s’impose l’écologisme, la nouvelle révolution culturelle censée dresser l’homme de demain.


Le 1er septembre, Alain Frachon consacrait sa chronique dans Le Monde au regain de vitalité que connaissent en Russie et en Chine la notion et, par voie de conséquence, la politique de « rééducation ». Rééducation, « l’expression renvoie aux pires moments du stalinisme et du maoïsme », écrivait l’éditorialiste, « mais les héritiers du pouvoir à Moscou et plus encore à Pékin croient dans l’ingénierie politico-psychologique, la manipulation des esprits ». Convaincus qu’« on peut former un homme nouveau, forcer les consciences et lessiver les cerveaux », ils mettent l’accent sur la jeunesse. Et pour les moins jeunes, fidèle disciple de Mao qu’il s’emploie à réhabiliter, Xi Jinping se persuade qu’« on peut, en rééduquant, éliminer les “mauvaises pensées” ». Et le journaliste de conclure : « Mauvais souvenirs. »

Alain Frachon a raison de tirer la sonnette d’alarme, mais diable !, que sa description présente de ressemblances avec le monde dans lequel les « éveillés» du climat rêvent de nous faire vivre, et s’emploient déjà à nous faire vivre : éliminer les mauvaises pensées, former un homme nouveau, forcer les consciences, ingénierie politico-psychologique

Le petit livre vert

N’est-ce pas, d’ailleurs, avec la Révolution culturelle chinoise que la révolution verte présente le plus d’analogie ? Lors de la campagne d’août 1966, baptisée les « Quatre Vieilleries », les gardes rouges étaient chargés de purger la société des « vieilles idées », de la « vieille culture », des « vieilles habitudes », des « vieilles coutumes » – autrement dit de tout ce qui était antérieur à la création de la République populaire en 1949. Troublant miroir.

Sans doute ne parle-t-on pas de « rééducation », et pas non plus, comme au temps de la Terreur, de « régénération », mais tous se grisent, d’Extinction Rébellion à Greenpeace, d’Anne Hidalgo à Élisabeth Borne en passant par Sandrine Rousseau et Éric Piolle, de Radio France à Télérama, de Libération à L’Humanité de « changer les comportements et les mentalités » et de « réinventer » nos villes et nos vies.

Tous s’accordent sur un point, l’être humain de demain ne ressemblera en rien à celui que nous avons connu jusqu’à aujourd’hui. L’homme réinventé, l’homme « reconstruit » ne sera plus carnivore, il ne chassera plus, ne goûtera plus les joies du cirque ni du zoo, ne se délectera plus de corrida, il ne prendra plus l’avion, ne conduira plus ou si peu, l’homme véritablement et définitivement rénové circulant à bicyclette ou, mieux encore, à trottinette…

On se garde bien de parler de manipulation des esprits ou de lessivage des cerveaux, mais c’est la chose sans le mot ou avec un mot qui, habilement, dissimule la chose : les techniques du « nudge » font ainsi fureur au ministère de la Transition écologique et auprès des mairies EELV. Ce « coup de pouce », selon la traduction en vigueur, est une méthode d’incitation qui ne relève ni de la récompense ni de la punition, mais joue sur ce que les spécialistes appellent les « leviers psychologiques » des individus afin d’obtenir des changements de comportements. « Pour établir un plan de sobriété énergétique tel que souhaité par la Première ministre Élisabeth Borne, il faut cibler le cerveau émotionnel et s’intéresser aux sciences comportementales », expliquait dans Les Échos du 2 septembre Christophe de Cacqueray, co-fondateur de Hi !, cabinet de conseil (de ceux sollicités par l’Élysée ?) en sciences du comportement. L’ingénierie sociale et anthropologique dispose désormais d’un arsenal de techniques plus redoutables que jamais. En comparaison, les procédés de propagande d’hier sont de l’artisanat.

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Nombre des contempteurs de l’écologie contemporaine dénoncent une écologie punitive. Elle l’est, sans doute, mais la chose est plus insidieuse : plutôt que de punir, l’objectif est de transformer chacun de nous en son propre tyran ou, à défaut, d’instituer les enfants en tyrans domestiques, véritable œil de Moscou. Là encore, la novlangue a son mot de passe : « responsabiliser chacune et chacun ». La servitude volontaire ou le plébiscite de tous les jours.

Rien n’est obligatoire (pour le moment), mais chacun est incité à faire tel ou tel geste, à consommer tel ou tel aliment et gare à celui qui a l’audace de persévérer dans des pratiques ancestrales. Dégradation morale assurée. Dans La France sous nos yeux, Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely distinguent entre une « gauche quinoa » et une « droite barbecue ». À quand l’instauration de tribunaux devant lesquels comparaîtra pour complicité d’« écocide » l’amateur obstiné de charcuterie ? À quand des assiettes connectées mouchardant leur contenu à qui de droit (ministère de l’Écologie, Sécurité sociale, assurances…) ?

Responsabiliser en infantilisant

« Chaque geste compte », nous a prévenus la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher, annonçant le lancement d’une campagne de communication portant sur les « éco-gestes » dont l’objet sera de « faire connaître aux Français les gestes les plus efficaces pour réduire leur consommation ». Témoignage éclatant de la mascarade contemporaine, jamais on ne nous a tant exhortés à la responsabilité et jamais nous n’avons été autant infantilisés, jamais tant maintenus dans un état de minorité dont tout est mis en œuvre pour que nous n’en sortions surtout pas !

Le moindre geste se fait ainsi test de moralité, jusqu’au plus prosaïque. Ainsi de la poubelle. À qui triera ou ne triera pas ses déchets.[1] Morne dramaturgie de notre temps ! On a les épopées qu’on mérite.

Dictature verte, Khmers verts, écologisme totalitaire… Facilité de journalistes ? Venin d’adversaires politiques ? Paresse d’intellectuels ? Examinons la chose. À quoi reconnaît-on un régime, en tout cas une pente, totalitaire ? Quels sont les traits qui apparentent le monde rêvé des écologistes à un gouvernement autoritaire ? Comme le mot l’indique, l’inclination totalitaire se signale par le fait que la totalité de notre existence se voit ramenée à une question exclusive, laquelle autorise les pouvoirs publics à pénétrer jusque dans les moindres recoins de nos vies. Or, la réquisition est intégrale. De l’aveu même du Monde, « l’écologie est partout».[2] 

Comme dans tout régime autoritaire, les « réinventeurs » de nos vies, associatifs et politiques, avant-gardes autoproclamées, dociles petits soldats d’une révolution dont il conviendrait de hâter le cours, disposent de quelques armes lourdes et terrorisantes, forgées dans l’arsenal du militantisme :

– Un mot pour faire taire les oppositions, subjuguer toute interrogation, toute objection : « urgence climatique » ou, comme ils disent, « salut de la planète ».

– Un mot également pour légitimer la désobéissance civile, l’éco-vandalisme : l’« éco-anxiété », et ce avec la complicité des psychologues flagornant cette jeunesse qui ânonne pathétiquement les articles de foi verte – on apprend d’ailleurs, au détour d’articles et de reportages qu’il existe des « éco-psychologues ». C’est ainsi que Léonore Moncond’huy, maire EELV de Poitiers, qui s’était déjà illustrée par son exhortation à « changer les rêves des enfants », a choisi cet automne de financer le festival Alternatiba dispensant des cours de désobéissance civile.

– Pièce maîtresse, la désignation d’un ennemi. Ses traits sont allés se précisant ces derniers temps. L’Anthropocène tend à céder la place à l’ « androcène » : sous l’amour de la nature, ce n’est plus la haine de l’Homme, de l’humanité et de ses activités qui gît, ainsi que l’avait dès la fin des années 1980 diagnostiqué Marcel Gauchet dans un article pionnier, mais bien la haine de l’homme, du mâle et singulièrement (le concept reste à forger !) du mâle blanc occidental. Si Sandrine Rousseau et les écoféministes étaient seules à soutenir une intrigue aussi simpliste, on pourrait s’en divertir, mais une petite musique se diffuse, toujours plus sonore, faisant de l’homme et de son imaginaire l’agent de domination tout à la fois de la nature, des bêtes, des femmes et de tout ce qui n’est pas à son image.

– Last but not least, trait essentiel des régimes dictatoriaux, le congé donné à l’humour. Assez badiné ! tel est le mot d’ordre. Toute plaisanterie se voit proscrite. Christophe Galtier et Kylian Mbappé sont payés pour le savoir.

Sandrine Rousseau, Emmanuelle Cosse et Julien Bayou aux voeux du Nouvel An d’EELV, Paris, 16 janvier 2014 AFP PHOTO / JACQUES DEMARTHON (Photo by JACQUES DEMARTHON / AFP)

Réquisition, bâillon, rééducation. Rien ne manque. À chaque jour nouveau son nouveau tour d’écrou ; un contrôle de plus en plus sévère de nos vies s’impose. Actions d’éclat et de vandalisme se sont ainsi multipliées cet été. Nombre d’activistes de la lutte contre le réchauffement climatique ont investi ces « arrière-boutiques toutes nôtres » (Montaigne) que sont les musées, les festivals de musique classique – ils ont imposé l’interruption de la représentation de Madame Butterfly au festival Puccini en Toscane –, les terrains de tennis de Roland-Garros, les golfs de Limoges et de Toulouse. Après donc cet été en pente très peu douce, la rentrée est prodigue en annonces et décisions comminatoires.

Sauver la planète, enterrer la civilisation

Dans le domaine de l’information notamment, ce qui est loin d’être indifférent dans une démocratie. Sibyle Veil, présidente de Radio France, a décrété la mobilisation intégrale de l’ensemble des chaînes de son groupe et publié un manifeste, « Le Tournant » environnemental, redoutable table de la loi verte dont chaque article appellerait un commentaire, mais je n’en retiendrai que deux.

L’article premier, explicitement attentatoire à ce que la Déclaration des droits de l’homme de 1789 appelait la libre communication des pensées et des opinions (article 11) : « Nous nous tenons résolument du côté de la science en sortant du débat la crise climatique, son existence comme son origine humaine. Elle est un fait scientifique établi, pas une opinion parmi d’autres. » Que nous dit ici Sibyle Veil ? La maison Terre brûle, l’homme et ses activités sont les seuls responsables, ça ne se discute pas, ça ne se nuance pas, ça ne se complexifie pas. Vérité scientifique, quand en réalité les scientifiques sont divisés, et en tant que telle soustraite à la conversation civique. Quiconque aurait la hardiesse de risquer avec Rousseau (Jean-Jacques) un « Que de questions je trouve dans celles que vous semblez résoudre » est averti : il tombera sous le coup du « délit d’opinion ». Nous sommes tous prévenus : nul ne franchira plus désormais le seuil de la Maison ronde s’il n’a d’abord ratifié le dogme vert. À Radio France, l’heure est à la caporalisation des esprits.

C’est ce que confirme et renforce l’article 5 : « Radio France lance le plus grand plan de formation de son histoire à destination de ses journalistes, ses producteurs et équipes de productions, et ses animateurs, sur les questions climatiques et scientifiques. » Et la présidente : « Nous changeons de philosophie : l’environnement et la science ne seront pas l’affaire des seuls journalistes spécialisés, ils constitueront le socle des connaissances indispensables mobilisables par toutes nos équipes éditoriales. » Mais à qui seront confiés ces ateliers de formation ? Comme dans le cas de la Convention citoyenne sur le climat, à des personnalités acquises à l’orthodoxie ? Les journalistes y seront-ils instruits des vérités qui fâchent dans les rangs des militants ?

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Dans le même esprit, une « Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence climatique » a été publiée le 14 septembre. Elle établit que l’écologie devient le « prisme au travers duquel l’ensemble des sujets doit être considéré » ; avec une attention particulière portée aux « mots choisis », chacun doit « rendre compte de l’urgence ». Journalistes à titre individuel, chaînes d’information, RFI, France 5, écoles de formation, les signataires se sont précipités.

Le premier à ouvrir le bal, fin juin, a été le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, annonçant dans sa Lettre à ses « chères professeures et chers professeurs », que l’écologie constituait un « axe majeur » de sa politique éducative et qu’il entendait convoquer la commission des programmes afin de « renforcer, dans les programmes scolaires, l’enseignement sur ce sujet ». Donnons à méditer au ministre le témoignage d’un jeune lycéen cité par L’Obs. Évoquant l’écologie, il parle lui-même de véritable « bourrage de crâne ». « Bientôt [et il ne croit pas si bien dire], on l’étudiera dans toutes les matières. C’est important, mais à un moment, c’est bon, on a compris. D’autant qu’il y a plein d’autres sujets passionnants qu’on aborde en coup de vent. »

La protection de la nature, des espèces, du climat, de la vie sur Terre est un alibi. Après la chute du mur de Berlin et sur les ruines du communisme, la publication en 1990 du premier rapport du GIEC a été la bonne nouvelle pour une génération orpheline de grands récits et de grandes causes. Sous le masque de défenseur de la planète perce le sourire du fossoyeur de nos civilisations. Et il est prêt à tout pour parvenir à ses fins.

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[1]. Je recommande vivement à cet égard et à bien d’autres la lecture du savoureux conte de Benoît Duteurtre, Dénoncez-vous les uns les autres, Fayard, 2022.

[2]. « L’écologie partout, les écologistes nulle part », Le Monde daté du mercredi 21 septembre 2022.




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est docteur en philosophie. Derniers essais: Libérons-nous du féminisme! (2018), Le Crépuscule des idoles progressistes (2017)

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