La société française un véritable enfer raciste et homophobe ? Beaucoup de témoignages du passé racontent une autre histoire.
Quand je relis Stefan Zweig évoquant le Paris du début du XXème siècle dans Le monde d’hier (paru en 1943), je saisis pourquoi j’ai du mal à comprendre les obsessions de notre époque : « Nulle part, cependant, on n’a pu éprouver la naïve et pourtant très sage insouciance de l’existence plus heureusement qu’à Paris, où la confirmaient la beauté des formes, la douceur du climat, la richesse et la tradition… Personne n’éprouvait de gêne devant qui que ce fût : les plus jolies filles ne rougissaient pas de se rendre dans le petit hôtel le plus proche au bras d’un nègre aussi noir que la poix ou d’un Chinois aux yeux bridés. Qui se souciait, à Paris de ces épouvantails qui ne devinrent menaçant que plus tard, la race, la classe et l’origine ? On allait, on causait, on couchait avec celui ou celle qui vous plaisait, et l’on se souciait des autres comme d’une guigne. »
On me dira : Mais c’était le Paris d’avant la Grande Guerre !
Sans doute, mais entre les deux guerres d’autres artistes ont célébré le bonheur de vivre à Paris. Il suffit de lire Henry Miller ou Hemingway, et bien d’autres auteurs étrangers, pour sentir encore cette insouciance, cette ouverture, cette liberté qui attirait tant d’intellectuels et d’artistes du monde entier. Ce Paris-là, cette France-là, ne connaissait pas ce qu’on appelle le racisme. Et Joséphine Baker a magnifiquement expliqué dans son discours de 1963 à Washington, lors de la marche pour les droits civiques, combien la France était pour elle un endroit « féerique », notamment parce que la notion de race n’avait aucune place dans les relations sociales.
On me dira : Mais Joséphine Baker évoque la France de l’entre-deux-guerres !
Un boomer comme moi, qui avait 20 ans en 1967, peut dire la même chose. Nous sommes une génération qui ne savait pas ce qu’était le racisme. Nous suivions effarés ce qui se passait effectivement aux Etats Unis ou en Afrique du Sud, mais rien dans notre vie quotidienne ne nous confrontait au racisme, quand à éprouver ce sentiment, cela ne nous effleurait même pas. Bien sûr il y eut à cette époque comme à toutes les autres, une infime minorité d’abrutis qui pensaient que la race blanche était supérieure aux autres, c’est inévitable. Il y avait aussi quelques esprits haineux, échauffés par la récente guerre d’Algérie, qui détestaient viscéralement ceux qu’ils appelaient « les bicots ». De la même façon d’ailleurs que certains de nos grands-pères et de nos pères gardèrent parfois longtemps rancune tenace aux « boches ». Mais dans tout cela, rien de « systémique » comme on voudrait nous le faire croire. La question est : la France a-t-elle vraiment changé ?
Il en va de même pour les mœurs. J’ai fréquenté bien des milieux, des paysans, des ouvriers, le « Tout Paris ». J’ai connu des bisexuels, des transexuels, des homos, des lesbiennes… tous les goûts étant dans la nature, de tous temps chacun a essayé de vivre sa vie en fonction de ses désirs. Je dois donc dire que je n’ai jamais entendu de reproches ostensibles de quiconque à l’égard de quiconque en raison de son orientation sexuelle. Ni entendu quiconque se plaindre de mauvais traitements subis en raison de son orientation. Je sais bien qu’il y a des exceptions malheureuses, mais là encore aucune apparence de répression « systémique ». Il y a à cela deux raison évidentes :
1° Personne ne revendiquait sous un drapeau son appartenance à une quelconque minorité sexuelle. Il y avait, comme c’est normal, et même pour les hétéros, une discrétion de chacun sur sa vie sexuelle dont on considérait qu’elle était du domaine privé. Exception faite des nuits parisiennes où les choses pouvaient être plus ostensibles dans la liberté de « l’entre-soi », on ne s’affichait pas, on ne revendiquait pas, on vivait sa vie.
2° Bien évidemment, les choses se savaient, mais au fond tout le monde était indifférent à ce genre de savoir sur autrui, et en tous cas rarissimes étaient ceux qui en faisaient une occasion de scandale. Simplement une discrétion de bon aloi s’imposait à tous.
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Et donc, la question se pose à nouveau : la France a-t- elle vraiment changé pour que tant de militantisme « antiraciste » ou « anti-LGBTQI+ » ait envahi de façon aussi obsessionnelle la vie sociale ? Ma réponse est non. Les Français d’aujourd’hui sont bien les enfants de ces Français dont Zweig, Hemingway ou Baker saluaient l’esprit d’ouverture. Exception faite d’une infime minorité, qui représente l’inévitable présence du mal dans toute société humaine, les Français sont naturellement tolérants, ouverts, accueillants, et la différence les indiffère. Mais, comme il est naturel à un peuple légitimement fier de son histoire, de ses lettres, de ses arts, ils ne veulent pas voir disparaître leurs mœurs, leurs coutumes, leur culture, tout un art de vivre salué depuis toujours. Comprendre cela, c’est comprendre la profondeur culturelle de ce qui se joue aujourd’hui dans le champ politique. Ils veulent qu’on ne leur demande pas quel est ce drôle de prénom, « Pierre », ni quelle est l’orthographe de cet autre prénom exotique : « Robert ».