Assiste-t-on à un « grand remplacement » musical?
4 ans après la tuerie du Bataclan, l’histoire nous montre que le rock était déjà condamné, avant d’être achevé à coups de Kalachnikov.
Dans les années 80 et 90, la scène rock était incandescente.
Inspirée, singulière, libre, déversant riffs et textes incisifs, elle envahissait tout ce qui était susceptible de recueillir ses décibels: les salles tournaient à plein régime, les plateaux TV autorisaient encore les groupes à jouer en live, et les radios n’étaient pas allergiques à la saturation des guitares. Du prolo à l’étudiant bourgeois, elle était diverse de ses origines. Immigrés de première et deuxième génération y prenaient place, tels Rachid Taha et Carte de Séjour, ou encore la Mano Negra. Cette vague était électrique, engagée. De Noir Dez’ aux Bérus en passant par FFF, le rock était un cri de ralliement qui peu à peu se taira dans la rentabilité du marché et l’avènement d’une industrie musicale lisse et formatée. Son bourreau est une hydre à deux têtes; avec le consentement de nombreux acteurs médiatiques et économiques, le rock a été étranglé par le conformisme mondialisé, feutré, et la pression culturelle du wesh.
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En quelques années, tout ce paysage a donc été balayé pour muter en un royaume de la musique électronique et urbaine. Les salles alternatives, rock et punk, ont fermé à tour de bras. Parmi la dizaine de lieux, rien qu’à Paris, qui ont subi ce sort, un des plus marquants reste La Flèche d’Or qui deviendra bientôt… un pub d’une franchise bien connue. La purge est au moins aussi spectaculaire dans les radios. Skyrock (vous avez dit « rock » ?) a été la première à se travestir pour chanter aux oreilles des banlieues, troquant son cuir pour un survet’. Radio publique, (Le) Mouv’ lui a plus tard emboîté le pas en vendant son âme au rap.
Victime de son ouverture à l’autre
La mort du rock est-elle le symbole de la mutation culturelle ? A-t-on gagné au change ? Que ça nous plaise ou non, notre époque sied davantage aux musiques urbaines: perte de conscience politique, ode à l’hédonisme, culte de soi, argent roi, créativité accessible à tous (surtout à ceux qui ne maîtrisent aucun instrument). La victoire du rap est surtout la conséquence de l’ouverture forcée à l’autre.
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Remplis de bons sentiments, se déchaînant lors du concert de SOS Racisme organisé à la Concorde en 1985, les groupes espéraient une fin de carrière plus glorieuse. Aujourd’hui trahis, rares sont ceux que la passion continue à animer. Ils se voient relégués au statut de chanteurs pour public nostalgique désireux d’entendre encore une guitare résonner comme on irait au musée. L’émancipation qu’offrait le rock, transposée dans le monde des rappeurs, s’est transformée en un déballage narcissique et fastueux. Les vidéos prises à l’intérieur du bus de l’équipe de France nous confirment la profondeur de cette musique qui a envoyé à la déchetterie des conteneurs entiers d’amplis Marshall.
Le Bataclan en guise de champ du repos
Déjà à l’agonie, on n’imaginait pourtant pas que le terrorisme se chargerait de lui donner le coup de grâce. Le soir du 13 Novembre 2015, un commando de jeunes français, armés jusqu’aux dents, a fait taire les power chords des Eagles Of Death Metal, en tirant froidement sur la foule venue s’en irradier. Les pires prédictions n’auraient pas pu dessiner plus grand symbole: le rock est à terre, baignant dans la bière et l’hémoglobine de ses fans. Les larsens sont venus mourir dans la symphonie des balles. Les médiators ne serviront plus qu’à se curer les dents.
Paradoxalement, jamais l’esthétique rock n’aura été aussi présente dans notre société. Les vitrines des grands magasins débordent de ceintures à clous et de perfectos, tout le monde porte des t-shirts de groupes dont il ignore la moindre mélodie, à la manière des hipsters qui arborent des portraits de Chirac en mode « thug life ». Le rock résonne parfois encore à la TV, mais c’est pour nous vendre une voiture ou un rasoir. Créature céphalophore, victime d’un progressisme qui n’a même pas pris la peine de dissimuler sa lame ensanglantée, elle finira sa chute dans les livres d’histoire, pour apporter la légèreté nécessaire à l’appropriation de notre terrible passé colonialiste.
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Le piège du « musicalement correct français »
Je laisserai ma conclusion au disparu Fred Chichin des Rita Mitsouko, duo génial et iconique dont l’œuvre est difficilement qualifiable de réactionnaire, qui peu de temps avant sa mort confiait à Télérama (!) s’être fait « piéger par le musicalement correct français » puis ajoutait : « Je suis resté deux mois avec une quarantaine de rappeurs. C’est édifiant sur le niveau et la mentalité… Le rap a fait énormément de mal à la scène musicale française. C’est une véritable catastrophe, un gouffre culturel. La pauvreté de l’idéologie que ça véhicule : la violence, le racisme anti-blancs, anti-occidental, anti-femmes… C’est affreux. »
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