La communauté financière et les autorités se veulent rassurantes et sans équivoque. Selon elles, les réformes systémiques auraient été menées et les établissements financiers – nettement mieux régulés – travailleraient en provisionnant plus de capitaux. Mais bien sûr, le pire aveugle est celui qui s’obstine à ne pas voir. Les principaux facteurs responsables des tourmentes de ces dernières années sont toujours à l’œuvre, quand ils n’ont pas été amplifiés. Les déséquilibres commerciaux et financiers, creusés par une politique monétaire ultra-expansionniste ont en effet été portés, depuis 2008, à leur paroxysme… Pire encore : les banques, qui se retrouvent effectivement contraintes par des ratios plus stricts en matière de capitaux, se tournent vers les marchés des matières premières, des marchés émergents et des fonds spéculatifs (hedge funds), à la réglementation quasi inexistante, afin d’y réaliser des compléments de profits, au risque d’y gonfler une nouvelle bulle !
Occupé à remettre de l’ordre dans les ratios bancaires, le régulateur est donc – une fois de plus – pris de court par des intervenants financiers qui, motivés par la volonté de gagner encore et toujours plus, ont toujours une longueur d’avance. Autrement dit, le système est actuellement menacé d’implosion par une hyper-spéculation sur des classes d’actifs très peu réglementées menée par une profession qui ne se résout décidément pas à accepter des profits moindres que par le passé. Comment lui faire comprendre que les bénéfices des années 2000 à 2007 constituaient une anomalie malsaine et qu’il est impératif – pour la sauvegarde de notre activité économique – d’apporter une attention particulière à la gestion des risques et à la diminution massive des opérations à levier ?
La décennie précédente ayant été scandée par les implosions spéculatives et les faillites spectaculaires d’institutions financières et de grands fonds de placement, Nassim Taleb, auteur de The Black Swan, devra revoir sa théorie car son « cygne noir » est devenu notre pain quotidien ! En effet, en raison de nos connaissances limitées, nous sommes contraints d’analyser le présent et de prévoir le futur en observant et en extrapolant les tendances du passé. Résultat, tout événement imprévu nous déstabilise profondément. Dès que survient cet inconnu – le fameux « cygne noir » de Taleb – c’est l’ensemble du système, avec ses croyances et ses présupposés, qui menace de s’effondrer… Autrement dit, tout événement imprévisible, c’est-à-dire affecté d’une faible probabilité, revêt une portée considérable. La volatilité extrême et malsaine des marchés ces dernières années a précisément été provoquée par des événements « hautement improbables », en l’occurrence des réajustements et liquidations de positions opérés par des investisseurs qui avaient sciemment pris trop de risques.
Reconnaissons-le : l’investisseur et le professionnel de la finance sont aujourd’hui devenus de facto leurs propres ennemis car les cultures du risque à outrance et du gain coûte que coûte sont devenues la norme. Finie la période où papa achetait des actions pour les conserver quelques années, révolue celle où grand-papa plaçait son épargne en Bons du Trésor. Taleb est d’ores et déjà dépassé car l’incertitude, les mouvements erratiques et la volatilité exacerbée meublent aujourd’hui nos vies et les placements réputés jadis les plus sûrs sont susceptibles de se liquéfier du jour au lendemain. Les occurrences exceptionnelles font désormais partie intégrante de la psychologie des investisseurs. Pire encore: ceux-ci misent et spéculent sur l’avènement du « hautement improbable » dans l’espoir – évidemment – d’en tirer profit. Bref, le « cygne noir » règne en maître absolu.
La conjoncture étant nettement plus aléatoire qu’avant la crise des subprimes, notre système se retrouve donc frappé d’immunodéficience face au risque de nouvelle implosion. En effet, les Etats, qui ont dépensé des sommes faramineuses dans le cadre des sauvetages financiers, ne seront plus en mesure, ni économiquement, ni politiquement, de puiser dans des caisses désormais vides pour stabiliser et assainir le système. Les banquiers ont certes accompli une œuvre admirable de lobbying en persuadant nos gouvernements du rôle vital de leurs établissements pour nos économies. En attendant, le contribuable est aujourd’hui à sec et les Etats avec lui. Les conséquences de l’implosion d’une nouvelle bulle seraient donc simultanément simples à comprendre et terrifiantes à supporter.
Alors que des pans entiers de l’activité financière échappent à toute régulation et que de nouvelles crises des dettes souveraines sont en gestation, les ingrédients d’une conflagration majeure sont en train de se mettre en place. Inéluctablement.
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