C’est à l’heure où éclatent en plein jour les dysfonctionnements de l’Europe dans le secteur agricole, et alors que nos concitoyens découvrent enfin les conditions de travail de nos paysans que de nouveaux visages apparaissent, de femmes, de mères, d’épouses, de filles, présentes sur les plateaux de télévision, sur les points de blocage, porte-parole de leurs syndicats ou présidentes de chambre d’agriculture. Des femmes en colère qui n’hésitent pas à pousser des coups de gueule.
Ces femmes de la Terre, trop longtemps oubliées, invisibles, travaillant en silence, parfois sans droit, sans statut et sans reconnaissance. Les voilà, fières, telles des amazones, prêtes à se battre pour sauver leurs exploitations, pour ne pas trahir l’esprit de la lignée paysanne qui coule dans leurs veines, pour faire honneur à un père ou un grand-père. Ces femmes qui ne cherchent à déconstruire ni un modèle traditionnel ni les hommes, mais simplement à s’affirmer dans le rôle qu’elles ont su conquérir naturellement depuis 50 ans.
Au début du XXème siècle et jusque dans les années 60, le monde agricole est le domaine réservé des hommes, les exploitations se transmettent de père en fils. Main d’œuvre infatigable, l’épouse du chef d’exploitation était « l’aide familiale », sans réelle profession, mais pilier essentiel, mêlant son travail à son statut matrimonial. Sous l’influence des mouvements féministes, les années 70 marquent un vrai tournant et annoncent les prémices de la reconnaissance de ses droits et de son travail. En 1962, la création du GAEC (groupement agricole d’exploitation en commun), permet aux époux de s’associer… mais avec une troisième personne. Dans les faits, cette loi a surtout été créée en vue de faciliter la reprise de l’exploitation par les fils. La création en 1973, du statut « d’associé d’exploitation » a également connu des conséquences mitigées. Ce seront les années 80 et 90 qui marqueront réellement la fin du règne masculin. En 1980, le statut de « co-exploitante » lui permet d’accomplir des actes administratifs nécessaires à la bonne gestion de l’exploitation, mais ce sera la création en 1985 de la EARL (exploitation agricole à responsabilité limitée) qui apportera un vrai changement – les époux peuvent s’associer en répartissant les tâches et les responsabilités – sans toutefois accorder à la femme un droit individuel dans cette organisation. Le vrai progrès aura lieu en 1999 avec la loi d’orientation agricole qui instaurera le statut de « conjoint collaborateur », lui accordant enfin des droits en matière de protection sociale. Cette loi sera complétée en 2019, en lui permettant de bénéficier d’indemnités journalières en cas de maternité et d’impossibilité de se faire remplacer. Il aura fallu 50 ans aux agricultrices pour que soient reconnus leur travail et la place majeure qu’elles occupent dans les exploitations.
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Les mentalités ont changé, le monde agricole aussi. Les femmes représentent aujourd’hui presque un quart des chefs d’exploitations agricoles et viticoles. En 2021, près de 40% des installations sont le fait de femmes, soit 4518 sur 11614. Elles se sont également de plus en plus imposées à la présidence des chambres d’agriculture et des syndicats agricoles. Les lycées agricoles et les écoles d’agronomie comptent, en 2023, 45% de filles, qui sont souvent plus diplômées que les garçons de leur âge et qui ont des parcours plus diversifiés.
Aujourd’hui l’égalité des droits entre les hommes et les femmes agriculteurs semble atteinte et n’est plus un sujet de débat.
Le monde agricole demeure cependant un milieu traditionnel. La représentativité des femmes, bien qu’étant de plus en plus importante, reste freinée par le poids des charges familiales, éducatives et administratives qui repose encore bien souvent sur leurs épaules.
Et puis, il y a toutes ces femmes, celles de ma génération, aujourd’hui cinquantenaires, qui sont parties étudier, comme moi, comme mes cousines et qui sont devenues des citadines. Mais le cœur a ses raisons que la raison ignore, car cet attachement à la terre est plus fort que nous. Combien sont- elles chaque été, à arrêter leurs activités et à rentrer pour les moissons, ou pour les vendanges en septembre ?
À l’image de nos aïeules, les « Gardiennes », évoquées par Ernest Perochon dans son roman publié en 1924, et porté à l’écran par Xavier Beauvois, qui avaient répondu à « l’Appel aux femmes de France pour la moisson » lancé par le président du Conseil René Viviani en 1914, aujourd’hui, elles répondent toutes par leur présence et par leur engagement pour garder leurs terres et pour survivre au sein d’une société mondialisée et déracinée.
Et si les femmes étaient l’avenir de l’agriculture, en apportant de nouvelles compétences, une nouvelle vision et une nouvelle sensibilité ?
C’est à vous, Monique et Juliette, ma mère et mon arrière-grand-mère, mais aussi à toi, Marie, ma nièce et à toi Laeticia, future éleveuse âgée de 17 ans rencontrée au SIA, que je pense en écrivant ces lignes.
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