La gauche française sacrifie le réel à l’idéal pour notre plus grand malheur. Elle tolère les pires horreurs pourvu qu’elles semblent exotiques, modernes ou hors du cadre.
Je suis de ceux qui croient que la Gauche et la Droite sont toutes deux nécessaires. La Droite défend l’ancrage dans le réel, mais risque de se contenter de gérer ce réel en perdant de vue l’idéal. La Gauche défend l’idéal, mais oublie facilement le réel et pire, le sacrifie à l’idéal. La Droite défend la nécessité d’un cadre, la Gauche défend ceux qui ne rentrent pas vraiment dans ce cadre. Et si la Droite risque d’oublier de distinguer, parmi ceux qui sont hors du cadre, entre ce qui est simplement étonnant ou déstabilisant et ce qui est véritablement mauvais, la Gauche fait souvent exactement la même erreur, tolérant les pires horreurs pourvu qu’elles semblent exotiques, modernes, hors du cadre. Toujours, l’une est l’équilibre nécessaire et le garde-fou vigilant de l’autre, et plus que leur complémentarité c’est leur affrontement qui permet la dynamique de la démocratie.
Hélas ! La Gauche tend à se prendre pour le Bien, et à croire que tout ce qui est mal ne peut être que de Droite, soit venir de la Droite, soit dériver vers la Droite. C’est la raison pour laquelle je suis très probablement de Droite : j’attends encore de rencontrer quelqu’un de Gauche qui affirme que la Gauche a besoin de la Droite….
Aveugle à ses torts
Et cette posture plus moralisatrice que morale rend la Gauche aveugle à ses torts. Même la Gauche authentiquement républicaine a bien du mal à admettre ses responsabilités face aux démons qu’elle a créés. On critique le déni des musulmans qui répètent comme un mantra « cépaçalislam » au lieu de combattre la part d’ombre de l’islam : le déni des hommes et des femmes de gauche est au moins aussi profond. C’est pourtant la Gauche qui a produit notamment le « wokisme » et ses émanations indigénistes et racialistes.
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Après la dénonciation d’injustices bien réelles, il y eut l’obsession pour la lutte des classes qui a habitué à ne concevoir la société que sous l’angle des rapports de force et de l’oppression : voilà la semence de la lutte des races et du refus de la vérité, puisque n’est-ce pas toute vérité n’est qu’une construction sociale imposée par les dominants pour justifier leur domination (à commencer bien sûr par la loi de la gravité et la toxicité de l’arsenic)…
Le souci de la subjectivité est devenu la haine de l’objectivité : et voilà que le ressenti est sacralisé, que seuls les « concernés » devraient pouvoir parler, et qu’il faudrait donc interdire aux oncologues de traiter les cancers s’ils n’ont pas eux-mêmes été cancéreux.
Délire régressif
La défense de la laïcité est devenue l’incapacité à distinguer entre les religions, et entre les courants au sein des religions : et voici que pendant que des musulmans comme Abdennour Bidar, Michel Renard, Leïla Babès, Yadh Ben Achour se battent contre la part d’ombre de l’islam, on déroule le tapis rouge à Tariq Ramadan et au CCIF, voici que pendant que des Iraniennes risquent leur liberté et leur vie pour combattre l’oppression du hijab obligatoire, on ose présenter ce symbole sexiste comme un signe d’émancipation féministe.
La conscience des horreurs de la guerre est devenue le pacifisme à tout prix : et voici que l’on rampe devant les pires dictatures, hier le nazisme et le Führer, aujourd’hui le totalitarisme islamique, les Frères Musulmans, les wahhabites et le sultan Erdogan.
L’indispensable souci de la nature et de l’environnement, l’opposition à la prédation délirante d’une logique économique devenue folle, est devenue un délire régressif : voilà que l’on ferme des centrales nucléaires pour relancer des centrales à charbon, voilà que l’on coupe des arbres centenaires pour faire des pistes cyclables, voilà que l’on encourage des peuples incapables de maîtriser leur natalité à déverser sur le reste du monde les enfants dont ils n’ont que faire au lieu de lutter contre l’explosion démographique, voilà que l’on refuse les sapins de Noël au nom de plus personne ne sait vraiment quoi.
Complice de l’ensauvagement
La défense nécessaire des excentriques et des marginaux est devenue la dévalorisation systématique des « gens ordinaires », pour ne pas dire « normaux », traités de beaufs, de ploucs, mal-pensants et mal-votants : voilà la dictature des minorités, présentée comme la seule alternative possible, voire souhaitable, à la tyrannie de la majorité.
Le rappel de l’humanité des coupables est devenu l’oubli de l’humanité des victimes : et voilà qu’au nom des « droits de la défense » on se rend complice de l’ensauvagement de la société, livrant les plus faibles à la loi de la jungle.
La prise de conscience des défauts de notre culture est devenue le fantasme du Grand Soir d’un monde nouveau et d’un homme nouveau : et voilà la détestation de notre civilisation, les goulags, « du passé faisons table rase », les camps de rééducation mais aussi une vision systématiquement laudative de tout ce qui n’est pas nous, et l’on exalte parce qu’ils viennent d’ailleurs des comportements qui seraient jugés immondes s’ils venaient d’ici.
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Ce n’est pas un hasard si ceux qui aujourd’hui se compromettent avec l’islam théocratique et le racisme « racialiste » sont les héritiers de ceux qui se compromettaient avec la dictature soviétique, qui exaltaient Mao et Che Guevara, quand ce n’était pas Pol Pot, qui vantaient les mérites de Khomeiny et faisaient l’apologie de la pédophilie par opposition à la « morale bourgeoise ».
L’exception Michel Onfray
Je l’ai dit : la Gauche et la Droite sont toutes deux nécessaires. Or, nous manquons cruellement aujourd’hui d’une Gauche républicaine : il y a des individus de grande valeur qui l’incarnent, mais avec un poids électoral proche du néant – à moins, peut-être, que Front Populaire ne parvienne à convaincre les abstentionnistes de retourner aux urnes….
Mais cela ne servira à rien si cette Gauche refuse par principe toute alliance avec ce qui n’est pas elle-même, si elle reste incapable de surmonter ses réflexes partisans au nom de ce qui la dépasse : la République, mais aussi la France. Or, trop souvent, les gens de Gauche et même des gens très bien se préoccupent de sauver la Gauche, comme si le salut ne pouvait par définition venir que d’elle et d’elle seule, voire comme si elle était une fin en soi, comme si « être de Gauche » était une fin en soi. Voilà leur pire erreur : la Gauche comme la Droite ne sont que des moyens, et certainement pas des buts.
La Gauche doit l’assumer : le gauchisme est son enfant, et la pomme n’est pas tombée aussi loin de l’arbre qu’elle aimerait le croire.
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Autre illustration de cette erreur, voire de cette faute : faire de la lutte contre « l’esstrême-drouate » le prérequis indispensable de toute action politique. Et ainsi une grande partie de la Gauche refuse frénétiquement ne serait-ce que de réfléchir au cas où il lui faudrait choisir, même localement, entre le Rassemblement National et des partis rongés par l’indigénisme raciste et/ou par l’islam théocratique. Terrible déni, que dénonçait déjà Gabriel Martinez-Gros il y a des années (dans Fascination du Djihad) lorsqu’il évoquait l’aveuglement « de la gauche en particulier, qui ne veut voir que problèmes sociaux là où éclate l’évidence d’un choix politique. Le paradoxe veut que ce même consensus, et cette même gauche, s’alarment d’une extrême droite populiste, dont le programme ne comporte pourtant aucune des condamnations radicales des fondements de l’Occident – en particulier la souveraineté du peuple, l’abolition de l’esclavage et de la polygamie, ou l’égalité des sexes – que les djihadistes proclament très ouvertement. »
Je fais un pari : la Gauche républicaine renaîtra de ses cendres lorsqu’elle attachera plus d’importance au fait de servir la France qu’au fait d’être de Gauche.
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