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Les fables de Lafontaine


Les fables de Lafontaine

Ça va mal pour Angela Merkel. La gauche lui tape dessus, la droite lui tape dessus, les verts lui tapent dessus, la presse lui tape dessus, les grands patrons lui tapent dessus, Sarkozy lui tape dessus, enfin sur les nerfs, mais c’est pareil… Ce n’est plus une chancelière, mais un djembé. La femme la plus battue d’Allemagne mérite pourtant du Vaterland : alors que le monde entier s’enlise dans une crise économique qui ne fait pourtant que commencer, Angie se démène pour relancer le commerce extérieur du pays.

Pour tout vous avouer, j’ai voté SPD en 2005, mais je dois admettre qu’Angie s’en tire plutôt pas mal. Certes, les esprits chagrins maugréeront qu’elle n’est pas parvenue à tripler les exportations de machines-outils vers la Chine ni à multiplier par dix les ventes extérieures de Jägermeister[1. Liqueur à base d’un savant mélange de plantes que seule une autopsie peut éventuellement parvenir à lister.] vers l’Autriche et le Liechtenstein. Mais elle a fait mieux encore ! Elle est parvenue à exporter ce que nous avions en Allemagne de plus inexportable : l’oskarlafontaine !

Ne demandez pas à quoi sert un oskarlafontaine. Personne ne saura vous répondre. C’est le schmilblick perpétuel de la politique allemande et certains sont morts sans avoir pu en maîtriser l’usage. C’est ce qui est arrivé au regretté Willy Brandt à la fin des années 1980. Notre ancien chancelier s’était mis une idée en tête : « C’est pas possible qu’un truc comme ça n’ait aucune utilité. Il y a des ingénieurs qui ont réfléchi au modèle pendant des années, ont fait des plans, avant de lancer la production. L’oskarlafontaine doit bien servir à quelque chose. » Brandt a voulu installer le bidule à la tête du SPD, mais rien à faire : l’oskarlafontaine refusa, prétextant qu’il ne servait à rien, qu’il en était content et qu’il entendait bien continuer sur cette voie.

Nous ne sommes donc pas peu fiers que notre chancelière ait pu exporter en France l’oskarlafontaine. Il faut reconnaître que l’acquéreur n’était pas très regardant : ce qu’il lui fallait c’était un homme politique européen de gauche en état de marche, alors un allemand ou autre chose… Pourtant, Jean-Luc Mélenchon aurait dû y regarder à deux fois avant d’accepter la camelote qu’on lui refilait. Je ne veux pas trahir les intérêts supérieurs de mon pays en dénigrant le machin made in Germany qu’on vient de vous refourguer, mais l’oskarlafontaine c’est pas le meilleur truc pour gagner des élections. Pour les faire perdre, c’est une autre affaire, il ne se débrouille pas si mal que ça : il suffit de demander à Gerhard Schröder ce qu’il en pense. Si réellement vous avez l’intention de lui poser la question, essayer de garder une distance suffisante. Je dis ça pour votre sécurité.

N’empêche, si le jeanlucmelenchon fonctionne aussi bien pour la gauche française que l’oskarlafontaine marche pour la gauche allemande, les députés de droite peuvent se faire graver des ronds de serviette à la cantine de l’Assemblée nationale : ils y sont pour un sacré bout de temps. Je me demande même si Jean-Luc Mélenchon n’aurait pas mieux fait de s’en tenir à la doctrine Chevènement : « Allemand ? Méfiance. »

C’est certain, je suis très partiale et même injuste. Mais il faut dire que l’oskarlafontaine n’y met pas non plus du sien : internationaliste quand ça lui chante, il a dirigé la Sarre, dont il a été pendant quinze ans le Ministre Président, en petit roitelet : on le vit même un jour prendre un décret pour empêcher la diffusion d’un reportage le concernant, avant de modifier le droit de la presse dans son Land… Les journaux s’étaient vus alors infliger l’obligation de publier les droits de réponse, sans les commenter ni avoir la faculté de revenir sur l’affaire abordée.

Ajoutez à cela que cet actuel eurosceptique se posait au début des années 1990 en défendeur de « l’esprit fédéral européen » pour s’opposer à la réunification allemande, et vous aurez tout compris à ce personnage extravagant qui proclamait « la fin de l’Etat-nation » et rêvait d’une RDA indépendante au sein d’une grande Europe…

Avec un tel parrain, le parti de Gauche est mal parti. Parrain, non ! C’est une erreur de frappe, je n’ai pas employé le mot. Parler des relations d’un homme politique avec le milieu, c’est moyen. Et puis, je ne voudrais pas qu’il m’advienne ce qui est advenu à mon collègue de Panorama lorsqu’il s’avisa d’évoquer les sujets qui fâchent… L’oskarlafontaine serait bien capable de faire promulguer un décret pour interdire la diffusion de causeur en Sarre (si ça ne marche pas, il fera interdire Internet dans tout le Land) ou de me bannir à vie de Saarbrücken. Et ça, ce serait très cruel : le frère de Patricia Kaas y a justement ouvert récemment une boite de nuit où quelques fans, alignés au bar, les yeux éteints devant leur verre, touillent leur cocktail en attendant la venue d’une idole qui ne vient pas. Il y en a toujours qui croiront aux fables. Même à celles de Lafontaine.



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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