Accueil Culture Éric Anceau: « La défiance à l’égard des élites françaises ne date pas d’aujourd’hui »

Éric Anceau: « La défiance à l’égard des élites françaises ne date pas d’aujourd’hui »

En partenariat avec la revue "Conflits"


Éric Anceau: « La défiance à l’égard des élites françaises ne date pas d’aujourd’hui »
Couverture du dernier livre d'Éric Anceau "Les élites françaises" et le Panthéon.© Capture d'écran

Dans Les élites françaises: Des Lumières au grand confinement, Eric Anceau analyse ce qu’étaient et ce que sont les élites françaises. Il revient longuement sur leurs évolutions dans le temps, le rôle qu’elles tiennent auprès du pouvoir et dans la société, ou les émotions populaires qu’elles font naître… Un bel éclairage sur un concept souvent mal connu. Entretien


Revue Conflits. Quelle serait pour vous la définition des élites la plus pertinente ? Comment expliquer qu’elles sont aujourd’hui objet de défiance, source de fantasmes, cœur de toutes les théories complotistes ? Est-ce que cela a toujours été le cas ? 

Éric Anceau. Il existe plusieurs acceptions du terme, que l’on retrouve dès le XIVe siècle, et qui demeurent valables aujourd’hui. Les élites, ce sont à la fois ceux qui exercent le pouvoir, ceux qui le conseillent et l’assistent dans l’exercice de ses fonctions, et dont les contours peuvent être plus flous que pour le premier groupe, mais aussi ceux que l’on considère comme les meilleurs ou les plus remarquables au sein d’un groupe social déterminé. Ceux qui aspirent au pouvoir peuvent déjà faire partie de ces élites ou constituer une contre-élite. On voit donc que le terme se définit pour partie objectivement et pour partie subjectivement par la légitimité que les membres des élites paraissent avoir pour en faire partie, par la représentation que la société se fait d’eux. La République, née dans la Rome antique où la res publica, la chose publique, unissait le peuple au Sénat, nécessite une confiance entre dirigés et dirigeants qui sont censés gouverner pour le bien commun. C’est à ce prix que l’on mérite de faire partie des élites républicaines.

Aujourd’hui, nos élites dirigeantes ne parviennent pas à résoudre la crise grave et multiforme qui affecte notre pays

Or, aujourd’hui, nos élites dirigeantes ne parviennent pas à résoudre la crise grave et multiforme qui affecte notre pays. Insérées dans la mondialisation et subissant les contraintes imposées par des institutions supranationales, elles ne semblent plus en mesure d’infléchir le cours des choses. Ajoutez-y le fait qu’elles sont frappées par divers scandales d’autant plus visibles qu’ils sont médiatisés et relayés de façon virale par les réseaux sociaux et vous mesurez la défiance qui les touchent.

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Je mettrai cependant deux limites à ce phénomène : d’une part, on constatera que les élites françaises ne sont pas les seules concernées puisqu’aujourd’hui les dirigeants de la plupart des grandes démocraties sont décriés pour les mêmes raisons qu’en France ; d’autre part, une étude sur le temps long, telle que je l’ai menée, démontre que la défiance à l’égard des élites françaises ne date pas d’aujourd’hui ni même d’hier. Sur deux siècles et demi, rares sont les moments où le peuple s’est trouvé parfaitement en phase avec elles.

Vous soulignez effectivement que les élites ont montré leurs limites à de multiples reprises dans notre histoire et qu’elles l’ont payé cher…

La France a connu pas moins de treize changements politiques majeurs depuis 1789 et, à chaque fois, à des degrés divers, un bouleversement s’est opéré dans l’élite dirigeante et dans la haute administration qui l’épaulait.

Cependant, les épurations massives n’ont concerné que quelques moments spécifiques de notre histoire. Les élites crispées de l’Ancien Régime, de la Restauration et de la monarchie de Juillet ont payé ainsi au prix fort leur autisme et les révolutions de 1789, de 1830 et de 1848 les ont remplacées par d’autres. Le mouvement a été facilité par le fait que les trois fois une crise économique et sociale est venue frapper la France, comme Ernest Labrousse l’a montré dans un article célèbre.

Mais les défaites militaires de 1814-1815 et plus encore celles de 1870 et de 1940 ont aussi entraîné la chute du Premier Empire, du Second Empire et de la Troisième République qui avait succédé à celui-ci et les changements de personnel dirigeant ont été, là aussi, radicaux. Ces débâcles militaires ont révélé les failles, pour ne pas dire la faillite, des élites en place, qu’elles soient impériales ou républicaines.

À la lecture de votre ouvrage, on s’aperçoit aussi que la sociologie des élites a connu de grands bouleversements depuis l’Ancien Régime, mais qu’elle connaît aussi des permanences par-delà les changements de régime que vous évoquez… 

Tout à fait ! Le principal bouleversement sociologique correspond aussi au changement politique majeur : la Grande Révolution. Dominaient sous l’Ancien Régime les deux premiers ordres et c’est de leur sein qu’est venue une partie de la contestation qui a amené la chute de la monarchie absolue, certains participant au mouvement des Lumières, d’autres réclamant le retour à une forme de monarchie plus ancienne où elles partageaient le pouvoir avec le roi. En détruisant le pouvoir de celui-ci, elles ont perdu le leur qui demeurait principalement social. La bourgeoisie a pris aussi sa part de ce renversement. Une partie d’entre elle était associée au pouvoir – le phénomène était ancien et remontait aux légistes de Philippe le Bel au tournant du XIIIe et du XIVe siècle – mais la plus grande part était maintenue en position d’infériorité politique et sociale alors qu’économiquement, elle s’était considérablement enrichie. On indiquera à titre d’exemple, parmi cent autres, l’édit de Ségur de 1781 qui interdisait aux roturiers et aux anoblis de fraîche date tous les hauts grades de l’armée.

Cette bourgeoisie participe à la Révolution avec la noblesse libérale et avec le peuple, mais c’est elle qui en profite surtout. C’est elle qui constitue les gros bataillons des notables appelés par la Constitution de l’an VIII (1799) à diriger le pays. C’est encore elle qui porte au pouvoir Napoléon Bonaparte pour consolider ses acquis de 1789, puis qui contribue à sa chute en 1814 quand elle juge qu’il devient un danger pour le maintien de ces mêmes acquis, comme l’a montré magistralement Jean Tulard, voilà plus de quarante ans.

Malgré un retour de la noblesse traditionnelle sous la Restauration, celle-ci doit toutefois partager le pouvoir avec les grands notables issus de la Révolution. 1830 rejoue 1789 et refait de la bourgeoisie la classe sociale dominante de la société française, celle où se recrutent les élites dirigeantes. Tel est encore…

>>> Lire la fin de l’article sur le site de la revue Conflits <<<

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Rédacteur en chef de Conflits, il dirige le cabinet de formation Orbis Géopolitique.

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