Les EHPAD ont fait l’objet de vives critiques suite à un certain nombre de scandales et aux événements de la pandémie. Pourtant, afin d’assurer l’accompagnement des personnes en fin de vie, les institutions de ce type resteront incontournables.
Pour les personnes âgées ou très âgées, notamment en situation de perte d’autonomie, deux grandes orientations existent : le domicile, lorsqu’il est susceptible d’être adapté, ou l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). D’une manière générale, le choix le plus prisé par la personne âgée, sa famille et son environnement est celui du domicile. Ainsi, ces dernières décennies, on constate une nette préférence et un engagement de plus en plus fort des pouvoirs publics en faveur de cette dernière option et ceci en totale défaveur de l’EHPAD.
L’image dégradée de l’EHPAD, surtout depuis la publication en janvier dernier de Les Fossoyeurs : révélations sur le système qui maltraite nos aînés, par le journaliste d’investigation, Victor Castanet, ainsi que la réflexion que j’ai menée à travers un ouvrage publié en février, La fin des EHPAD ? Réalités ignorées et vérités rejetées, semblent cautionner cette orientation de la politique publique concernant la dépendance, une politique sur laquelle personne ou presque n’émet des objections.
Que nos seniors passent les dernières années de leur vie chez eux, près de leurs familles et dans un endroit qu’ils connaissent bien, plutôt que dans de ce que beaucoup de Français considèrent comme des « mouroirs à but lucratif », nous semble relever du bon sens. Cependant, malgré les défauts du système actuel d’accueil en EHPAD, la politique publique qui se dessine risque de produire des effets pervers importants.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est utile de faire un court rappel de l’histoire de la politique du maintien au domicile. En 1962, le « Rapport Laroque » met en avant comme fondement de l’action gérontologique le maintien à domicile des personnes âgées. En cette période-là, existait l’hospice, qui fonctionnait concrètement comme un véritable mouroir. Un demi-siècle plus tard, en 2003, à travers le « Plan vieillissement et solidarité », puis en 2006, à travers le « Plan solidarité grand âge » (PSGA), ce même principe de la priorité du maintien au domicile était toujours accepté comme la base de toute politique publique. Plus récemment encore, cette constante n’a cessé d’être réitérée par les politiques sociales et médico-sociales. Le « Plan Alzheimer », de 2008 à 2012, le « Plan maladies neurodégénératives », conçu pour les années 2014-2019, et enfin et surtout, la loi du 28 décembre 2015 sur « l’adaptation de la société au vieillissement », affichent la primauté du maintien au domicile. Enfin, la loi du 20 juillet 2001, qui crée l’allocation personnalisée d’autonomie, donne une véritable dimension financière à la politique de maintien à domicile.
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Tout apparaitrait aller dans la bonne direction, si les différentes crises caniculaires et pandémiques n’avaient pas révélé de réelles difficultés dans le fonctionnement de l’accompagnement à domicile de la personne âgée en perte d’autonomie. Car le « maintien au domicile » n’est pas simple. Ce choix exige l’adaptation physique du logement (douche, cuisine, WC, escalier, installation de lit spécialisé) et l’accès à la fois aux soins et aux services palliant la perte graduelle de capacités (se laver, s’habiller, faire la toilette, cuisiner, manger…) assuré par un personnel se rendant chez les personnes concernées. La gestion de la dégradation graduelle de l’état de la personne comme l’entretien de son logement sont aussi des questions à prendre en compte dans le cadre de cette solution.
Or, des études officielles ou des rapports parlementaires dévoilent d’importantes carences sur le niveau moyen d’accompagnement des personnes âgées à domicile soit à travers les épisodes caniculaires, soit à travers les pandémies – SRAS en 2003 et H1N1 en 2009 – et notamment celle de COVID19. Ces lacunes sont très préoccupantes.
À titre indicatif, et afin de mesurer un aspect de l’inadaptation de l’accompagnement actuel à domicile, pour l’épidémie de COVID19, le nombre de décès à domicile de personnes âgées de 75 ans et plus, était de l’ordre de 440 personnes par jour la première quinzaine de mars 2020. Ce chiffre augmentera fortement pour atteindre 630 décès par jour durant la première quinzaine d’avril. Un rapport sénatorial de la fin de l’année 2020 ira jusqu’à qualifier le « maintien au domicile », des personnes âgées et très âgées, comme étant un véritable « secteur sinistré ». À l’évidence, l’accompagnement réalisé ne fut pas à la hauteur du défi.
La difficulté de recruter des salariés, dont la mission est d’accompagner les personnes âgées à domicile, conduit naturellement et tragiquement à ce qu’une demande sur cinq ne peut être prise en charge par les associations compétentes.
Pourtant, la volonté des personnes âgées – et de leurs familles – reste toujours très forte de rester vivre à domicile, et selon une expression plus adaptée, de « soutenir » à domicile les personnes qui le souhaitent. Déjà, dans un sondage de l’IFOP, de l’année 2010, 81 % des Français souhaitaient très clairement « passer leurs derniers instants chez eux ». Un sondage, du même institut, pour l’année 2019, révélait que cette proportion montait à 85 %.
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En même temps, il est intéressant de relever que la France a une tendance particulièrement élevée, par rapport à d’autres pays européens, à institutionnaliser les personnes âgées ainsi que cela a été décrit dans un rapport sénatorial. En France, 21 % des plus de 85 ans sont en EHPAD, contre 14 % en Suède, 12 % en République tchèque, 11 % au Danemark et également en Hongrie, 8 % en Espagne, 6 % au Royaume-Uni et 5 % en Italie.
Il n’est pas sans importance de noter qu’un tiers des personnes hébergées en EHPAD sont atteintes de la maladie d’Alzheimer, dont nous savons, aujourd’hui, que de nombreux laboratoires de recherche, européens ou américains, tentent de trouver des réponses thérapeutiques adaptées et efficaces. La moindre évolution en ce sens-là conduirait, naturellement, à pouvoir maintenir certaines des personnes âgées qui, aujourd’hui, entrent dans des établissements d’hébergement par nécessité absolue.
Quant au choix de l’EHPAD, il faut constater que la critique fondamentale à l’égard de cet établissement concerne la rupture qu’il représente dans le parcours de la personne âgée. La personne quitte un logement souvent habité des longues années, renonce à des nombreux objets familiers et laisse derrière elle, voisins, commerces et repères dans l’espace et le temps. C’est un vrai problème qu’il faut prendre en considération.
L’EHPAD doit donc s’insérer dans un principe qui constitue un véritable fondement de la politique gérontologique nationale : le parcours. Et, le parcours de la personne âgée et très âgée, est articulé autour du domicile : le domicile lui-même de la personne âgée, les résidences services, la résidence autonomie, les habitats partagés ou collectifs, mais également, l’accueil de jour pour les personnes atteintes de la maladie Alzheimer, voire l’hébergement temporaire qui peut se situer dans un EHPAD !
L’EHPAD apparaît alors comme une exception traumatisante pour la personne âgée. Parce qu’il est une institution, l’EHPAD impose de nombreuses normes, de nombreuses obligations, à la personne hébergée, lui faisant ainsi perdre, en grande partie, ses libertés élémentaires. Autant le domicile traduit parfaitement la réalité de son « chez soi », autant l’EHPAD en est à l’opposé.
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Un deuxième problème dont souffre l’EHPAD en France est la maltraitance en institution ou « maltraitance institutionnelle ». Même si, selon les chiffres, les maltraitances à l’égard des personnes âgées sont plus importantes à domicile qu’en EHPAD, la médiatisation de ce phénomène a fortement favorisé et renforcé le rejet de cette institution.
En 2018, le défenseur des droits rappellera les critiques adressées aux EHPAD, notamment le non-respect de l’intimité, de certaines humiliations, de protections non effectuées ou rarement effectuées, de contentions inadaptées ainsi que de limitations de visites ou de sorties. En 2021, l’analyse de la défenseure des droits constatera une amplification de ce phénomène, entraînant naturellement une extrême méfiance à l’égard de ces structures.
Pourtant, malgré ses multiples défauts et des critiques parfaitement justifiées, l’EHPAD est et devrait rester un élément essentiel de notre politique nationale concernant les personnes âgées.
L’EHPAD qui remplissait à l’origine, dans sa dénomination d’hospice, un simple hébergement, notamment à destination de personnes ayant des difficultés sociales, accomplit aujourd’hui une mission d’accompagnement de vie, d’accompagnement et de soutien aux pertes d’autonomie, d’accompagnement médical, psychologique, et, également, d’une véritable action de « soins palliatifs de nature médico-sociale », et cela lors de la fin de vie de la personne âgée hébergée.
Le maintien à domicile malgré son image positive et ses nombreux avantages ne peut pas constituer une solution à toutes les personnes âgées en pertes d’autonomie. Les investissements nécessaires sont vastes : près de deux millions de logements devraient être adaptés pour des personnes âgées en possibilité de demeurer chez elles dans de bonnes conditions malgré des pertes d’autonomie et l’accès au soin et services est un défi considérable et probablement impossible à relever. L’EHPAD reste donc une bonne et parfois unique solution pour un très grand nombre des personnes âgées et sa logique (concentration des moyens et de personnel professionnel) est parfaitement adaptée à un avenir où les besoins croissent et la main d’œuvre se raréfie et se renchérit.
En conclusion, il apparaît que le domicile représente bien la formule la plus adéquate pour la personne âgée et très âgée et devrait connaître, dans les années à venir, une très forte attractivité, au regard des innovations importantes en termes d’accompagnement de personnes âgées, ainsi que des constats négatifs, réguliers, portés sur les EHPAD. La dernière pandémie, rajoutée aux révélations scandaleuses sur les dysfonctionnements de certains établissements, portés par les réflexions parlementaires sur leurs difficultés de fonctionnement, tout cela devrait à terme conduire à ralentir l’entrée en EHPAD. Cependant, une solution 100% « maintien à domicile » est impossible et ne le sera jamais. Nous aurons donc toujours besoin des institutions de type EHPAD ce qui veut dire que nous sommes obligés de maintenir cette filière avec ses compétences, ses métiers, ses carrières, ses modèles économiques et formations. L’EHPAD est et restera un maillon essentiel de l’écosystème de la dépendance des personnes âgées.
Gérard Brami est ancien directeur des EPHAD, docteur en droit et auteur d’ouvrages en gérontologie.
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