Accueil Culture Les écrivains délateurs ne doivent pas désespérer

Les écrivains délateurs ne doivent pas désespérer

Mais au fait, qui sont ces artistes qui ont pétitionné contre Sylvain Tesson ?


Après tout, d’autres, avant eux, ont eu le Prix Nobel de littérature…


« Dans un pays entièrement soumis au régime des prix littéraires, la médiocrité des livres couronnés est le mètre étalon de l’idéal littéraire, outre que les prix sont des instruments de domination par quoi s’entérinent l’évacuation de la littérature et son remplacement par une dévaluation permanente de cette monnaie littéraire naguère appelée le style. »
Richard Millet. Langue fantôme.


On ne les savait pas si nombreux. Ni si hargneux. Végétant dans quelques obscurs réduits littéraires ou quelques mystérieux recoins médiatiques ou universitaires, ils languissaient, bien sûr, de ne pas être reconnus à ce qu’ils pensaient être leur juste valeur littéraire pour les uns, politique pour les autres. Quand ils apprirent qu’un écrivain célébré par la presse et les lecteurs allait parrainer la 25e édition de ce machin institutionnel et un peu ridicule sur les bords qu’on appelle Le Printemps des poètes, ces « acteurs culturels » – poètes méconnus, écrivains falots, bibliothécaires de « médiathèques inclusives », secrétaires de « bibliothèques sans frontières », libraires libertaires, éditeurs ésotériques, professeurs de lettres à Paris-VIII, etc. – jugèrent que non, décidément, on ne pouvait pas laisser un écrivain reconnu mais, selon eux, d’extrême droite, animer la grand-messe annuelle des poètes ou prétendus tels. La plume à l’air, ils partirent trois cents mais, par un prompt renfort, ils se virent plus de mille en arrivant au port des sycophantes, au repaire des délateurs, au journal Libération. Là, les scribes stasiens rédigèrent avec les pieds une tribune bien débectante pour déloger Sylvain Tesson[1], le seul qui, parmi eux tous, méritât le nom d’écrivain.

Vérifications

Ce troupeau pétitionnaire et acrimonieux est composé pour l’essentiel de parfaits inconnus. Trois ou quatre, qui écument les médias et ont glané tel ou tel prix littéraire, sortent du lot, me dit-on. Je veux bien le croire mais ne résiste pas à l’envie de faire quelques petites vérifications. Qui sont donc les moins méconnus de ces auteurs obscurs qui voient en Tesson une « icône réactionnaire » et considèrent que la nomination de cet écrivain « vient renforcer la banalisation et la normalisation de l’extrême droite dans les sphères politique, culturelle, et dans l’ensemble de la société » ?

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L’autoproclamée « poétesse queer » Élodie Petit, par exemple, est journaliste à ELLE et a écrit plusieurs ouvrages. Elle n’a pas de fiche Wikipédia, ce qui peut être considéré comme une négligence dans le petit monde dit culturel. Gageons que cette lacune sera vite comblée – grâce entre autres à son héroïque geste pétitionnaire contre « l’extrême droite littéraire ». Son dernier recueil de poésies s’intitule Fièvre plébéienne et « parle d’amoure (sic), de précarité, de joie punk, de sexualité ». Élodie Petit y affirme écrire une « langue bâtarde » pour « une littérature prolétaire, proche du réel, expérientielle, menaçante et gouine ». Le magazine Têtu précise : « Élodie Petit démasculinise et débinarise la langue. » Pendant ce temps-là, Sylvain Tesson, accroupi dans les steppes et sur les plateaux du Tibet, apprend « l’art de l’affût dans l’hiver et le silence » et celui de se taire dans l’espoir de voir « l’ombre magique » de la panthère des neiges…

Chloé Delaume a une longue fiche Wikipédia, elle. C’est déjà quelque chose. On y apprend que « son œuvre littéraire, pour l’essentiel autobiographique, est centrée sur la pratique de la littérature expérimentale et la problématique de l’autofiction ». Chloé Delaume est régulièrement invitée dans les médias, sur la radio publique, dans divers festivals, au Centre Pompidou, dans des galeries d’art contemporain. Après avoir réjoui Élisabeth Philippe, journaliste littéraire à L’Obs qui a vu dans Mes biens chères sœurs (Éditions Points) « tout le régime hétérosexuel vaciller sur son pilier phallique » derrières des formules comme « le patriarcat bande mou » ou « le couillidé ne contrôle plus rien à part la taille de sa barbe », Chloé Delaume a enchanté France Culture avec Le cœur synthétique, son « premier roman normal », prix Médicis 2020 : « Dans ce livre, j’ai travaillé la stylistique de façon très discrète, cela donne un truc assez soutenu, mais aussi très léger et rigolo, même si dans les passages sur la solitude, il y a des moments un peu plus graves ou émotionnels. » C’est très intéressant et renseigne déjà un peu sur le truc en question ; Télérama achève de nous dissuader d’en entreprendre la lecture : « Le Cœur synthétique décrit la souffrance d’une quadragénaire célibataire, Adélaïde, qui, rongée par la peur de la solitude et de la vieillesse, déconstruit petit à petit les normes imposées par le patriarcat. » Pendant ce temps-là, Tesson s’installe dans une cabane dans les forêts de Sibérie et profite de la solitude, de l’espace et du silence – « toutes choses dont manqueront les générations futures » – pour prendre des notes, « archiver les heures qui passent » et tenter ainsi d’empêcher le néant de triompher…

Baptiste Beaulieu aime les femmes à barbe

Autre signataire de la tribune stalinienne, Baptiste Beaulieu est médecin généraliste et écrivain. La Croix nous apprend que cet homme a pleuré lors de la naissance de son premier enfant : « Je n’avais pas lâché une larme depuis longtemps, je crois que la société n’aide pas les hommes à exprimer leurs sentiments. » Au magazine Causette, le médecin déclare que « quelque part, soigner les gens, c’est une façon de faire baisser le thermomètre de la méchanceté globale du monde ». Il y a, comme ça, des phrases qui classent immédiatement un homme et annihilent toute envie d’essayer d’en savoir plus. Pourtant, consciencieux, on insiste. On lit un peu de la prose du médecin poète, extraite de son dernier roman paru, Où vont les larmes quand elles sèchent. On y découvre des insipidités exceptionnelles et des aphorismes d’une platitude consternante – « On ne devrait jamais remettre à plus tard, parce qu’il est toujours plus tard qu’on ne le pense dans la vie » – ou la description d’une jeune femme conforme à l’air du temps néo-féministe : « Dingue comme elle est poilue. C’est génial de voir une nana qui se moque autant du regard masculin. Elle vit rien que pour elle. Pas pour plaire. C’est fort, ça. Très fort. Quel mec mériterait la souffrance qu’elle s’infligerait à coups de cire brûlante ? Aucun. Y a de la dissidence dans ce pelage. Elle a le poil révolutionnaire, Josette. » Pendant ce temps-là, Tesson passe un été avec Homère puis, après avoir arpenté des chemins noirs « baignés de pur silence », un autre avec Rimbaud…

On se souviendra qu’en France cette tribune policière rédigée par des « acteurs culturels » dans le but d’effacer un écrivain n’est pas la première de ce début du XXIe siècle. Il y a d’abord eu « l’affaire » Renaud Camus, qui vit la garde-chiourme médiatico-culturelle – de Jean-Marie Cavada et Laure Adler (France Culture) à Catherine Tasca (ministre de la Culture) en passant par la sinistre Élisabeth Roudinesco (dragon licencié ès ragots) – se démener auprès des éditions Fayard pour faire retirer un livre de la vente et vouer son auteur aux gémonies. Puis il y a eu « l’affaire » Richard Millet, qui vit la commissaire politique des salons Gallimard, Annie Ernaux, promulguer l’acte d’accusation contre l’auteur de L’éloge littéraire d’Anders Breivik et surtout, surtout, de Langue fantôme, un essai sur le déclin de la littérature française qui faisait l’essentiel du livre incriminé et écorchait certains écrivains qui se portèrent immédiatement volontaires pour constituer le peloton d’exécution de Richard Millet.

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Parmi ceux-là, J.M.G. Le Clézio. Pierre Jourde, qui refusa de participer à ce qu’il qualifia de « chasse à l’homme », évoque dans son dernier livre (1) « la fameuse Le Clézio touch : abondance d’eau tiède, généreuse distribution de pensée molle, de platitudes sublimes et de somptueuses idées reçues ». Après avoir cité quelques lumineux passages de la prose sirupeuse et créolisante de Le Clézio, « tant de banalités enveloppées dans tant de guimauve », Jourde s’interroge : « Et si tout simplement, notre plus grand écrivain était bête ? Mais bête, d’une bêtise irréparable, flaubertienne, d’une bêtise à la Homais, pleine de foi crédule dans le progrès et d’idées reçues. Au fond, c’est l’hypothèse la plus vraisemblable. » Le Clézio a obtenu le Prix Nobel de littérature en 2008. Ernaux, en 2022. Nos écrivains et poètes délateurs du moment ne doivent donc pas désespérer. Rien n’est perdu. D’autres avant eux, sans autre talent que l’allégeance au multicuculapralinisme littéraire – mélange de prose progressiste, sociologisante, narcissique et pantouflarde conforme à l’idéologie petite-bourgeoise, sociétale et diversitaire du moment – et le maniement du knout médiatico-culturel à lanières wokes, sont parvenus à une reconnaissance in-ter-na-tio-na-le. Mais les places sont comptées et, malgré l’emploi d’un baragouin nombriliste et une mentalité d’argousin et d’indicateur de police avérée, une grande majorité des signataires de la tribune imbécile échouera à atteindre la notoriété convoitée. Elle se consolera alors en lisant ce bel aphorisme : « La plupart des écrivains sont de vrais écolos : ils ne laissent aucune trace. » L’auteur de cette exquise et ironique formule ? Sylvain Tesson. (2)

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(1) Pierre Jourde, On achève bien la culture, 2023, Collection Chez Naulleau, Éditions Léo Scheer.

(2) Sylvain Tesson, Aphorismes sous la lune et autres pensées sauvages, 2008, Éditions Équateurs Parallèles.


[1] https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/nous-refusons-que-sylvain-tesson-parraine-le-printemps-des-poetes-par-un-collectif-dont-baptiste-beaulieu-chloe-delaume-jean-damerique-20240118_RR6GMDTTHFFXNGLP7GG7DZ2ZFU/



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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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