Les différences entre PS et UMP sont minimes. Tant mieux!


Les différences entre PS et UMP sont minimes. Tant mieux!

devedjian ump sarkozy

Causeur. L’impopularité de François Hollande et du PS devrait ouvrir un boulevard à l’UMP. Or, si, comme Hollande en 2012, vous profitez du rejet de vos adversaires, sans apparaître pour autant comme porteurs d’une alternative crédible…

Patrick Devedjian. C’est ainsi : en France, on ne gagne pas les élections, c’est l’adversaire qui les perd. Seulement cela suffit pour gagner les élections, pas pour diriger le pays. Résultat, quand on est dans l’opposition, on attend que l’adversaire échoue. Ce qui dispense de toute réflexion.

Et attendre, c’est ce que fait l’UMP aujourd’hui ?

Oui, mais nous avons encore un peu de temps. Fin novembre, nous aurons un nouveau président. Cela devrait être l’occasion d’engager enfin une vraie réflexion pour élaborer un projet de gouvernement, un projet de droite avec des idées et non pas des gadgets.

Encore faudrait-il savoir ce qu’est la droite. Qu’est-ce que l’ADN de la droite selon vous ?

Le problème de la droite, c’est que, depuis très longtemps, elle n’est plus que la « non-gauche ». Il faut qu’elle retrouve son identité. Je reste pour ma part fidèle à la définition de Raymond Aron : la gauche et la droite républicaines sont toutes les deux attachées à la liberté et à l’égalité. Mais quand celles-ci entrent en conflit, ce qui arrive nécessairement, la gauche arbitre en faveur de l’égalité et la droite en faveur de la liberté. Je révère l’égalité, mais, quand il faut choisir, je choisis la liberté. Voilà pourquoi je suis de droite.

Le ministre de l’économie actuel est donc de droite ?

Il est trop tôt pour le dire, car son discours varie et sa politique est encore floue. Mais oui, quand il dit qu’il faut abolir les trente-cinq heures, cela va effectivement dans le sens de la liberté…[access capability= »lire_inedits »]

C’est tout de même une définition minimaliste.

Évidemment, dans un monde démocratique, les différences se font à la marge. Mais la préférence pour la liberté, même à la marge, ce n’est pas rien !

À l’arrivée, on a l’UMPS : on ne voit pas des différences criantes entre Valls et Juppé.

Eh bien, voyez-vous, cette continuité me rend très heureux pour mon pays. Dans l’instabilité générale, elle permet au moins d’avoir une crédibilité sur la scène internationale. Et puis, cette histoire d’UMPS, c’est une vue de l’esprit. Il faut être extrémiste pour dire que l’UMP et le Parti socialiste, c’est la même chose, alors que le PS et le FN sont alliés objectifs, comme le montrent les triangulaires

Chevènement ne disait pas autre chose et il n’est pas franchement « extrémiste ».

Ça dépend des jours… Mais, sur le fond, vous avez raison, les différences sont faibles, et il en va ainsi dans la plupart des grandes démocraties, entre le Parti républicain et le Parti démocrate aux États-Unis, entre les conservateurs et les travaillistes en Angleterre. Accepter le consensus démocratique, c’est admettre qu’il n’y a pas deux camps ennemis et radicalement différents.

Mais différents, ils doivent l’être un peu. La droite n’est-elle pas aussi porteuse d’une certaine préférence pour l’ancien quand la gauche aime par principe ce qui est nouveau ?

Non, je ne crois pas que la droite ait le monopole du passé…

Il n’est pas question de monopole mais d’un brin de conservatisme, d’un certain rapport aux traditions…

J’ai le sentiment que la gauche est beaucoup plus conservatrice que la droite. Ce contresens vient de ce que l’affrontement entre les deux camps s’est articulé au moment de la Révolution française. Mais il faut rappeler que nous, la droite d’aujourd’hui, ne sommes pas les descendants des blancs, mais ceux des bleus !

Nous ne voulions pas vous assigner à la réaction. Nous parlons d’une certaine vision de l’histoire de France comme une longue litanie de crimes qui a cours à gauche…

Quels crimes ?

Colonialisme, esclavage, collaboration….

C’est l’histoire d’une nation, il y a des crimes ! Et puis je vous rappelle que le colonialisme était de gauche.

Le discours politique n’est pas une thèse d’histoire à la Sorbonne. Avec Chirac, athlète de la repentance, une partie de la droite (celle qui rêve d’être de gauche) pratique assidûment l’autoflagellation rétrospective que la gauche pratique volontiers…

Eh bien, il appartient aussi aux médias de rétablir les vérités historiques !

Si vous attendez que la vérité jaillisse des médias, on n’est pas rendus !

Il suffit d’être professionnel ! Le colonialisme, c’est un produit de gauche, cela n’est pas honteux d’ailleurs. Mais la gauche vénère le Jules Ferry de l’école laïque et oublie celui de la colonisation. Si la droite faisait son travail, elle ne se laisserait pas berner par une version idéologique de l’histoire.

Encore une fois, il ne s’agit pas de la réalité, mais des imaginaires respectifs de la droite et de la gauche…

Moi, je suis fatigué des « imaginaires »…

Vous essayez d’évacuer tout romantisme de la politique. C’est peut-être pour cela que la droite a perdu le combat culturel et moral. Vous ne croyez pas au « roman national » ?

Cela nous a fait tant de mal. Le romantisme a coïncidé avec le nationalisme et les grands massacres.

Faut-il en conclure que l’héritage ne compte pas ? Vous êtes vraiment de gauche !

Non, pas du tout, la France peut être fière de son héritage intellectuel, artistique, politique. Nous avons une littérature fabuleuse qui a fécondé le monde entier. L’identité de la France, c’est sa culture. Ma grand-mère ne parlait pas français ; mon grand-père l’a courtisée en lui envoyant un manuel de courtoisie française que je possède encore.

Mais aujourd’hui, même cette culture est contestée, car elle serait presque une forme d’oppression pour les nouveaux arrivants. Pensez-vous qu’on doive et qu’on puisse la leur imposer ?

Bien sûr ! Et ne soyons pas pessimistes : Modiano vient d’avoir le prix Nobel de littérature… C’est plus important que Jeff Koons qui s’installe à Versailles ! Le rayonnement, l’identité de la France, ce sont des réalités. Voilà de quoi devraient parler les responsables politiques.

Les Français ne décernent pas le prix Nobel de littérature, ils achètent le livre de Zemmour qui leur parle du roman national. Et la droite, elle, n’a d’autre horizon à proposer que le retour d’un ancien président ou d’un ancien Premier ministre. N’est-ce pas la marque d’une culture du chef, d’un goût pour le leadership plutôt que pour le pluralisme ?

C’est la conséquence du romantisme que vous révérez et c’est pourquoi la compétition est plus un affrontement entre hommes qu’entre idées et projets. On attend tout du président de la République : qu’il soit un génie dans sa capacité à concevoir l’avenir, qu’il fasse preuve d’un courage extrême pour réaliser les réformes nécessaires et qu’il soit irréprochable au plan de la vertu. En somme, il devrait être à la fois un génie, un héros et un saint…

C’est ainsi, la Ve République a été taillée pour de Gaulle…

Pour moi, de Gaulle n’était ni un génie, ni un héros, ni un saint, mais un grand talent.

Vous êtes de mauvaise humeur ?  

Je ne fais pas si bon marché du génie. Il s’est aussi souvent trompé. Certes, le 18 juin, il a fait preuve d’un don prophétique en incarnant la minorité du caractère français qui refuse ce qui apparaît comme inévitable. La décentralisation était une bonne idée, toujours d’actualité.

Donc de De Gaulle, vous gardez 1940 et 1969, le début et la fin… et rien entre les deux ?

Il y a tout de même le redressement de la France, mais l’excès de centralisation, l’excès de concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme, l’accent mis sur une seule personne, le refus de l’équilibre des pouvoirs, tout cela est devenu la dérive de nos institutions.

Comment expliquer que cet excès de pouvoir génère un sentiment général d’impuissance du politique – et peut-être pas seulement un sentiment ?

Le pouvoir en France aujourd’hui, c’est l’éléphantiasis ! À partir du moment où un seul homme accapare toute la substance du pays, il est encombré par cette accumulation et, finalement, promis à l’impuissance. Le président de la République française a plus de pouvoir que Louis XIV et que le président des États-Unis. On a oublié que les Grecs disaient qu’on est plus intelligents à plusieurs.

Vous ne croyez pas à la nécessité de l’incarnation ?

Je ne suis pas monarchiste. On a besoin de temps en temps de quelques personnalités hors du commun pour donner un élan, surtout dans des situations de crise, mais l’histoire n’a pas besoin d’être incarnée en permanence !

Quoi qu’il en soit, votre camp ou une partie de votre camp se dit encore gaulliste. Quel sens cela a-t-il ?

J’aimerais croire que ce qui reste du gaullisme, à droite, c’est l’esprit du discours du 18 juin 1940 : résister contre ce qu’on considère comme des fatalités. Être gaulliste, c’est se dire que rien, tant qu’on est vivant, n’est inéluctable. Ensuite, c’est l’esprit prophétique : ce qu’on demande à un bon politique, ce n’est pas d’être un bon gestionnaire mais de savoir lire dans le marc de café, de comprendre l’évolution des choses et d’éclairer l’avenir. C’est d’ailleurs pour cela qu’on avait besoin de De Gaulle en 1940 et aussi en 1969 : il avait le sens de l’avenir.

Admettons. Et aujourd’hui, de quoi ou de qui avons-nous besoin ?

Nous avons besoin d’un équilibre des pouvoirs, de checks and balances à l’anglo-saxonne, car le système actuel est fou ! Pour commencer, il faut un Parlement qui ne soit pas, comme c’est le cas aujourd’hui, une chambre d’enregistrement. Ensuite, il faut revenir sur la coïncidence des élections législatives et de la présidentielle, qui affaiblit encore un Parlement où la majorité ne tient en réalité sa légitimité que du président. Résultat, les élections législatives s’apparentent à un référendum pour ou contre le président de la République, qui est élu depuis trois semaines…

Cela est vrai dans un système bipartisan, mais ne sommes-nous pas entrés, avec le FN, dans l’ère du tripartisme ?

Non, je crois qu’on continue à être dans un système bipartisan et je ne crois pas au risque du Front national.

Que le FN soit ou non un « risque », il n’en représente pas moins une troisième force inscrite durablement dans la vie politique française sans pour autant être associée à un camp ou à l’autre…

Je pense que le Front national continue à exercer sa fonction de protestation, mais qu’il joue un rôle extrêmement réduit dans la politique française, contrairement à ce que suggère l’obsession médiatique.

Médiatique ? Manuel Valls n’a-t-il pas récemment déclaré que l’extrême droite était à nos portes ? Et toutes les forces politiques lorgnent sur l’électorat frontiste…

Je sais bien que le FN est instrumentalisé par la gauche pour contenir la droite.

Bref, que vous le vouliez ou non, la progression du FN modifie les positions et les stratégies des autres acteurs comme un corps céleste infléchit le mouvement des autres… 

Sans doute, mais ce n’est pas le Soleil non plus ! Dans la galaxie, tous les jours, il y a des étoiles qui meurent. Pour filer votre métaphore astronomique, je ne suis pas certain que le FN exerce une telle influence sur le mouvement de la Terre.

Près d’un quart de l’électorat serait attiré par une étoile mourante ?

Ce qui compte, c’est d’avoir des leviers de pouvoir. De quel levier de pouvoir dispose le Front national ? Aucun ! Et les Français veulent qu’il en soit ainsi, puisque lors des élections législatives ils pourraient voter pour le Front national, élire des députés Front national, et ils ne le font pas !

Vous savez très bien que c’est une question de mode de scrutin.

Je le sais d’autant plus que j’ai moi-même été élu en 1986, quand l’introduction de la proportionnelle par François Mitterrand a fait entrer une trentaine de députés frontistes à l’Assemblée. Ils n’ont eu aucune influence sur les politiques menées.

Cela ne vous gêne pas qu’une partie des électeurs soit condamnée à n’avoir aucune influence ?

À vous entendre, le FN ne manque pas d’influence.

Quoi qu’il en soit, à vous entendre, rien n’aurait changé en trente ans. Le FN est tout de même passé de 5 % à 20 ou 25 % des voix.

Le Front national ne prospère jamais aussi bien que sur les carences de la droite. Quand la droite n’est pas elle-même, quand elle n’est pas capable de supprimer les trente-cinq heures, de supprimer l’ISF, quand elle n’assume pas ses fondements et ses valeurs, alors, effectivement, une partie de son électorat s’égare.

Vous vous racontez de belles histoires ! Le vote FN n’a rien à voir avec ces deux questions…

Le Front national n’offre aucune politique sérieuse à la crise économique et sociale, et les Français le savent.

Enfin, vous savez bien que pour les électeurs frontistes et pour une bonne partie des vôtres, la maîtrise de l’immigration, la crise de l’intégration et l’insécurité sont bien plus importantes, et que c’est sur ces questions-là que beaucoup ont voté Nicolas Sarkozy en 2007, tandis qu’en 2012 ils ont voté Hollande ou sont allés à la pêche !

Soyons raisonnables. L’immigration est une question à l’échelle européenne, et comme beaucoup des Français, à commencer par le Front national, ne veulent pas que cette question soit traitée à l’échelle européenne, ils sont malvenus de se plaindre du résultat.

Un peu court, non ? Les promesses de Nicolas Sarkozy ne valent donc rien ?

C’est beaucoup plus difficile que ce qu’on imagine ! Nous sommes dans la mondialisation et nous ne reviendrons pas en arrière.

La facilité des déplacements fait exploser les frontières nationales et les disparités de développement créent une forte instabilité.

En attendant, beaucoup de citoyens pensent, et pas forcément à tort, que l’usine à gaz européenne est structurellement inefficace en matière d’immigration et que l’État ferait mieux en agissant dans un cadre bilatéral. Et Nicolas Sarkozy a déjà annoncé que, si jamais…, il demanderait la révision de Schengen.  

Je ne crois absolument pas que les États soient en mesure de maîtriser les flux migratoires. Je suis allé étudier la question aux États-Unis, où la lutte contre l’immigration clandestine en provenance du Mexique est loin d’être un succès malgré les moyens énormes dont dispose le gouvernement. Alors la France n’est pas près d’y arriver toute seule ! On peut faire de la démagogie, on sait bien que c’est impossible.

Nicolas Sarkozy appréciera. Faut-il alors dire aux Français : « Désolé, mais la France n’a plus le droit de choisir qui elle veut accueillir » ?  

Il faut toujours dire la vérité, sinon, ça vous revient à la figure. Une véritable politique migratoire consiste effectivement à agir pour que l’Europe, qui a accaparé cette compétence légalement, par les traités, l’exerce réellement.

Vous parlez de vérité. Mais on sait bien que, pour être élu, il faut tenir un certain type de discours, un peu national-républicain et volontariste, que l’on abandonne une fois élu – notre ami Philippe Cohen appelait cela « le bluff républicain ». Chirac a promis de lutter contre la fracture sociale, Hollande a déclaré « Mon ennemi, c’est la finance ! », et Sarkozy a annoncé qu’il passerait le Kärcher. Et, une fois au pouvoir, tous ont découvert que c’était « plus compliqué que ça ». 

Vous êtes en train de me dire qu’il faut mentir pour être élu ?

Un peu, oui…

Et après ça, vous m’expliquerez que les Français sont le peuple le plus intelligent de la terre, c’est amusant. Moi, je pense que la vérité dans le discours politique a de beaux jours devant elle et que notre peuple est capable de la comprendre. C’est ainsi qu’on aura une chance non seulement d’accéder au pouvoir mais d’y rester. Le mensonge se retourne toujours contre vous.

Un discours de vérité exige une certaine clarté, or l’UMP est une maison si vaste que seule une ligne floue – et l’espoir de gagner – permet de rassembler toutes les demeures qui la constituent. De même, on peut se demander ce qui distingue Florian Philippot des souverainistes anti-libéraux de l’UMP ?

Facile : aux élections, ils votent différemment. Ils ne votent pas pour le même candidat à la présidentielle, ils ne votent pas pour le même maire…, et c’est ça qui compte.

Donc ils pensent la même chose mais ne votent pas de la même manière ?

Ça, c’est vous qui le dites ! Moi, je juge les gens sur leurs actes, pas sur leurs pensées prétendues. Et je constate que ces personnes que vous comparez ne votent pas de la même manière. Ça fait une différence.

Ne serait-il pas plus clair et plus sain pour le débat public et pour nos institutions d’avoir deux droites, une plus nationale et une autre plus libérale ?

Non ! L’alternative n’est pas entre la droite qui court après la gauche et la droite qui court après le Front national ! Quand elle imagine que c’est la seule alternative, la droite cesse d’être elle-même, et c’est son drame. Je ne veux courir ni après le PS ni après le FN. Et je suis un homme de droite.

En êtes-vous sûr ?

Oui, je l’assume !

À cause de la liberté ?  

Précisément, ou plutôt de la préférence ultime pour la liberté : je me garderais d’accuser les gens de gauche de ne pas aimer la liberté, je pense qu’ils l’aiment un peu moins que l’égalité. Moi, c’est le contraire.

Savoir qu’en cas de conflit entre la liberté et l’égalité vous serez plutôt du côté de la liberté peut-il suffire à donner envie aux licenciés de Gad de voter pour vous ?

Les chômeurs de Josselin ne me demandent pas quel est l’ADN de la droite, ils me demandent de leur trouver du travail et ils le demandent à tous les politiques, de gauche ou de droite. Autrement dit, ils nous demandent d’avoir une politique capable de créer de l’emploi dans notre pays. Notre réponse est qu’il faut favoriser l’investissement, tandis que la gauche fait tout le contraire ! Et quand il n’y a pas d’investissement, il n’y a pas de croissance et il n’y a pas d’emploi.

Sauf que la politique menée depuis 1983 dans la « continuité » a radicalement échoué sur ce plan. Beaucoup, à droite et à gauche, pensent que c’est la mondialisation qui est en cause et posent aujourd’hui la question des frontières. Ne faudrait-il pas réfléchir à un « protectionnisme intelligent »… 

Je pense que le protectionnisme, pour notre pays en tout cas, n’est pas une réponse possible.

Mais ce n’est pas non plus possible au niveau européen car nous ne serons jamais tous d’accord…

L’Europe est ce que nous la faisons ! Et nous n’en faisons pas assez ! L’Europe n’est que l’alibi de notre lâcheté ! Parce que, quand la France et l’Allemagne se mettent d’accord, toute l’Europe les suit. Donc la France a les moyens, et elle l’a démontré tout au long de l’histoire, d’infléchir et d’orienter toute la politique européenne…

Donnez-nous un exemple d’un infléchissement obtenu par la France depuis 1993.

Sarkozy a réussi à renégocier le Traité constitutionnel européen qui était dans l’impasse. Il l’a voulu, il l’a réussi.

Vous voulez dire qu’il a réussi à contourner le vote négatif des Français ?

Oui.

Donc, en plus d’être gouvernés par des pouvoirs de plus en plus impuissants, les Français doivent accepter d’être dépouillés de leur souveraineté de citoyens ?

Cessez d’entretenir ces fantasmes ! Dites-leur les choses comme elles sont ! Vous rendez-vous compte que vous vivez dans un monde schizophrénique ? Vous me dites : « Tout cela est vrai. Mais peu importe puisque les gens pensent le contraire et que c’est cela qui compte ! » Non, ce qui compte, c’est la vérité ! Parce que si vous niez le réel, il vous saute à la figure !

Nous n’avons pas dit que « tout cela » était vrai, certainement pas ! Beaucoup de Français pensent que l’Europe ne les protège pas, au contraire, qu’elle les livre pieds et poings liés au capitalisme mondialisé. Et en même temps ils se sentent abandonnés par leur propre État.  

Mais sans la monnaie unique, pour prendre cet exemple, notre situation serait mille fois pire !

En somme, vous refusez de prendre les Français pour des cons, mais quand ils votent, vous dites qu’ils se trompent ?  

Oui, ils ont aussi parfois de mauvais bergers et la droite a des responsabilités lourdes dans la mesure où elle n’est pas capable de leur expliquer le fond des choses.

Donc, c’est un problème de pédagogie. Mais il ne s’agit pas de dossiers techniques. Le problème, c’est que nous avons quitté la rive de l’État-nation à l’ancienne, sans pour autant parvenir à la rive post-nationale. Du coup, l’Europe, structure politique quasi étatique sans nation pose donc un grave problème de légitimité.  

Oui, l’Europe souffre d’un déficit de légitimité, j’en conviens volontiers, mais parce que c’est une construction démocratique en devenir, et que le point auquel nous sommes est loin d’être satisfaisant. De même, le fonctionnement de la démocratie dans notre pays est loin d’être satisfaisant. Reste qu’il ne faut pas se raconter d’histoire : nous sommes au milieu du gué mais nous ne reviendrons jamais à l’État-nation des origines.

En attendant, dans le capitalisme global et financiarisé qu’on propose comme horizon radieux et inéluctable, les peuples ronchons, donc « populistes », ont le sentiment que le patron de Google ou de Total a plus de pouvoir que François Hollande. Ça ne vous pose pas de problème ? 

Mais tout pose des problèmes dans la vie ! Bien entendu que le capitalisme pose des problèmes ! La démocratie pose des problèmes ! Et moi aussi, je pose des problèmes ! Mon idéal n’est pas de créer un monde sans problème. Le problème n’est pas le capitalisme ni les actionnaires comme on le répète. Ce ne sont pas les actionnaires qui contrôlent le capitalisme, ce sont les dirigeants de sociétés, qui constituent un cercle extrêmement étroit et fermé qui pratique l’autosélection. Regardez comment on devient président de Paribas par exemple : monsieur Baudouin Prot a désigné son successeur. Le noyau dirigeant de toutes les grandes entreprises mondiales constitue un petit cénacle qui s’auto-reproduit par cooptations.

Mais la droite n’a pas peu contribué à créer ce cénacle, rappelons-nous seulement les « noyaux durs » de Balladur…

En réalité, ce n’est pas la droite ni la gauche, mais l’État, qui est responsable de notre plus grave échec. Cela fait des décennies que l’industrie vit sous l’autorité de la haute administration et que nous avons cessé d’avoir une politique industrielle. Il n’y a pas de capitalisme français, il y a simplement un système dans lequel un haut fonctionnaire débute sa carrière dans les cabinets ministériels et la poursuit dans le pantouflage. La plupart des grandes entreprises françaises du CAC 40 sont dirigées par d’anciens hauts fonctionnaires. Il est logique que cette haute administration, incapable de concevoir une politique industrielle, ne soit pas toujours la meilleure pour diriger une entreprise.[/access]

*Photo : Hannah.

Novembre 2014 #18

Article extrait du Magazine Causeur



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Elisabeth Lévy est journaliste et écrivain. Gil Mihaely est historien.

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