Bonne nouvelle pour les amateurs du cinéma d’Antonioni : les infatigables et indispensables éditions Carlotta proposent ces jours-ci en DVD deux films plutôt rares et peu vus du maestro. D’une certaine manière (mais nous nuancerons), ils représentent deux périodes bien spécifiques du cinéaste : d’un côté, sa période « existentialiste », de l’autre, sa période plus « abstraite » et picturale.
S’il fallait absolument trouver un point commun à ces deux œuvres, il faudrait souligner qu’il s’agit de deux adaptations littéraires. Avec Femmes entre elles, Antonioni porte à l’écran une nouvelle de Pavese mettant en scène une jeune femme ambitieuse qui quitte Rome pour Turin et qui, sauvant d’une tentative de suicide la jeune Rosetta, va se lier à un groupe d’amies issues de la bourgeoisie turinoise. Le mystère d’Oberwald s’inspire lui de L’aigle à deux têtes de Cocteau et narre les aventures d’un jeune anarchiste qui tente d’assassiner la reine et qui tombe entre ses mains à cause de sa ressemblance avec le défunt roi.
Sans compter parmi les œuvres majeures d’Antonioni, ces deux films présentent un intérêt certain et témoignent de l’évolution de la filmographie du cinéaste. Femmes entre elles est un exemple typique de ses films tournés avant L’avventura : la dimension « abstraite » de son cinéma n’est pas encore là mais déjà perce un certain goût pour le vide et pour la peinture d’un malaise existentiel. Ce qui pourrait sembler, de prime abord, n’être qu’un tableau assez acerbe des mœurs de la bourgeoisie italienne de l’après-guerre s’ouvre sur des perspectives beaucoup plus sombres.
Le film s’ouvre sur un suicide raté qui contaminera la suite du récit, faisant à la fois planer une menace de mort et annonçant le geste final fatal. Rosetta, qui tente de mettre fin à ses jours, est amoureuse d’un homme marié. Alors que pour les autres filles du groupe, l’adultère semble n’être qu’un passe-temps comme un autre pour tromper l’ennui et se divertir ; il y a chez Rosetta une sorte de croyance absolue dans l’amour qui va se heurter à la triste surface de la réalité. Dans les liens qui se tissent chez ce couple adultère se dessine déjà cette fameuse « incommunicabilité » chère à Antonioni.
Femmes entre elles, c’est l’arrivée du sentiment de l’absurde dans une comédie du type « téléphones blancs ». C’est la sensation que quelque chose ne fait plus sens et que l’existence est menacée par le vide. On le ressent d’une manière assez remarquable dans une très belle séquence à la plage où les femmes papillonnent, se révèlent cruelles entre elles (l’une d’elle conseille à Rosetta de se suicider pour permettre au groupe de retomber sur un nombre pair) et séduisent le mari de leurs amies, par jeu et désœuvrement. Tournée en plans d’ensemble, la séquence offre une jolie chorégraphie de ces corps s’agitant vainement au bord de la mer et d’une nature indifférente au sort et à la souffrance des hommes.
Cette dimension « existentialiste » alourdit également un peu le propos, comme souvent dans les premiers films du cinéaste (par exemple dans Le cri). Il manque encore un peu cette incroyable stylisation qui fera la richesse de films comme Blow up ou Zabriskie Point.
Entre Profession : reporter et Identification d’une femme, Le mystère d’Oberwald s’inscrit pleinement dans cette période dite « abstraite ». Lorsqu’il entreprend Le mystère d’Oberwald, le cinéaste n’a pas tourné depuis 5 ans et il accepte donc une commande de la RAI. Non seulement ce film sera tourné pour la télévision (comme Le testament du docteur Cordelier de Renoir ou les films didactiques de Rossellini) mais il sera aussi tourné en format vidéo (comme certains Godard de la fin des années 70). On apprendra grâce au supplément du DVD qu’Antonioni était ravi de se retrouver derrière un moniteur et de pouvoir, à sa guise, jouer avec des palettes de couleurs à l’instar d’un peintre.
Malheureusement, le film se heurte à deux écueils. Primo, le matériau d’origine. Pour ma part, je n’ai jamais trouvé la pièce de Cocteau très intéressante (le film qu’il en a tiré avec Jean Marais et Edwige Feuillère est d’ailleurs sans doute son film le moins réussi). Si Antonioni élague le côté grandiloquent des dialogues du dramaturge français et se contente d’un décor dépouillé, il faut bien reconnaître qu’il n’évite pas totalement un certain bavardage et que le récit qu’il met en scène apparaît bien vieillot.
Si, selon Aurore Renaut qui présente les deux films en bonus, on peut voir dans Le mystère d’Oberwald des réminiscences de l’actualité de l’époque (l’anarchiste tentant d’assassiner la reine renvoyant aux attentats des Brigades Rouges et aux provocations policières de l’État italien), j’ai un peu de mal à cerner ce que le cinéaste fait vraiment de ce sujet (quel point de vue?).
Secundo, la réalisation en vidéo se révèle particulièrement laide. Outre des mouvements de caméra et recadrages incertains, il faut reconnaître que le jeu avec les couleurs d’Antonioni n’est pas particulièrement intéressant. Les images bavent et si on compare avec le travail sur la couleur que faisait quelqu’un comme Argento à l’époque (Suspiria, Inferno), il n’y a pas photo !
Reste alors quelques très belles séquences, quasi fantomatiques, une très belle fin et l’interprétation superbe de l’impératrice Monica Vitti.
Mais plus de deux heures de théâtre vieillot, c’est un peu long…
Femmes entre elles (1955) de Michelangelo Antonioni avec Eleonora Rossi Drago
Le mystère d’Oberwald (1980) de Michelangelo Antonioni avec Monica Vitti
(Editions Carlotta Films). Sortie en DVD le 18 septembre 2013.
*Photo: Femmes entre elles.
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