Lire en été: au hasard des bouquinistes, des bibliothèques des maisons de vacances, des librairies, le plaisir dilettante des découvertes et des relectures, sans souci de l’époque ou du genre.
Dominique Noguez nous a quittés récemment, en mars 2019. C’était un écrivain des plus attachants et un homme charmant, toujours attentif à ses plus jeunes consœurs et confrères. Erudit malicieux, universitaire buissonnier et cinéphile, il a œuvré dans tous les genres avec un égal bonheur et a obtenu quelques prix comme le Nimier – ce qui est toujours bon signe – et le Femina. Il ne se départissait de sa bonhomie que pour son inquiétude, dès les années 90, à voir l’anglais contaminer le français, et ce bien avant les ridicules et dangereuses métastases managériales d’aujourd’hui. On relira ainsi, si on le trouve, à La colonisation douce parue au Rocher en 1991.
En 1991, il a aussi publié ce que je considère comme son plus grand roman, Les derniers jours du monde. Il est inutile de dire que l’envie de le relire nous est forcément venue dans cette étrange période. A quoi ressemblait, il y a presque trente ans, la fin du monde pour un écrivain français qui préférait la fréquentation de Rimbaud et des Latins –on lui doit une traduction très crue des Epigrammes de Martial – à celle des auteurs de SF ?
Il suffit d’imaginer un personnage dont l’aptitude à souffrir et à démultiplier sa souffrance rappelle irrésistiblement le Proust de La Prisonnière et d’Albertine disparue. Placez maintenant ce personnage dans la France dès premières années du vingt-et-unième siècle qui étaient encore pour lui de l’ordre du futur proche. Rajoutez sur tout cela une crise internationale, un virus informatique (déjà…) qui plante tous les ordinateurs, des bombes nucléaires et bactériologiques qui tombent un peu partout au hasard et un président de la République (Fabius…) qui annonce les larmes aux yeux que l’apocalypse est inévitable. Vous aurez alors une faible idée de la formidable émotion que soulève en vous le roman de Noguez qui n’a pas, à part quelques détails d’époque, pris une ride.
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Interrogation désespérée sur la fin d’un amour qui coïncide avec la fin du monde, méditation à la Montaigne – une des références constantes de l’auteur – sur l’étonnante capacité de l’homme à faire de son propre malheur une œuvre d’art qui occulte tout, le roman de Noguez est en fait une véritable somme où tous les genres, de la confession à la satire, du journal intime à la maxime, viennent se confondre dans le vieux rêve du roman total.
Le narrateur s’appelle Eric, c’est un cinéaste raté qui a réfugié son spleen à Biarritz et qui décide alors que tout s’effondre autour de lui, de raconter sa douloureuse passion pour Laetitia, la belle Antillaise trop volage. Très vite, il prend conscience d’écrire ce qui sera le dernier livre de l’humanité, entreprise d’une splendide et ironique gratuité quand on assiste à une telle succession de catastrophes: tremblements de terre, épidémies, pillages.
Sa course à travers une France agonisante nous vaut de nombreux morceaux d’anthologie parmi lesquels on retiendra un opéra d’après Duras à Bordeaux auquel assiste un Sollers impotent converti à l’Islam, ou l’ultime orgie donnée par un milliardaire dans une villa cernée par les mourants.
D’une humanité qui disparaît dans ce suicide collectif flamboyant, on tire paradoxalement une morale salubre et optimiste comme l’était ce cher Dominique Noguez que j’ai eu le plaisir de rencontrer quelques fois autour de bonnes tables : il n’y a que l’art pour consoler des chagrins d’amour et aussi des absurdités de l’histoire. Notre rédemption est là et pas ailleurs.
Les derniers jours du monde de Dominique Noguez (réédition chez Robert Laffont en 2009)
La Colonisation douce : Feu la langue française ? Carnets 1968-1998, nouvelle édition augmentée
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