Le parti nationaliste du grand vainqueur des élections aux Pays Bas, Geert Wilders, promettait dans son programme de veiller au « respect des traditions néerlandaises », à commencer par la Saint-Nicolas. La guerre culturelle sera désormais exacerbée à chaque approche du 5 décembre, observe notre correspondant.
Le Néerlandais Geert Wilders ne doit pas sa victoire électorale uniquement à son combat contre l’immigration. Son opposition à la version « antiraciste » de la fête de la Saint-Nicolas y est aussi pour quelque chose. Les tractations en vue de former une coalition gouvernementale, où il compte jouer un rôle de poids, viennent de commencer à La Haye.
Abandonnés par les élites politique, médiatique et intellectuelle, mais armés d’œufs pourris, de tomates, de pétards et d’un conteneur à lisier, une centaine de provinciaux s’était rassemblée le samedi 18 novembre dans le village de De Lier, avec pour but d’en chasser les manifestants antiracistes venus protester contre l’accueil festif de Saint Nicolas et de son entourage bariolé. D’auto-proclamés inspecteurs itinérants de la diversité avaient préalablement sommé le maire du village de veiller à ce que les valets noirs de Saint-Nicolas, les Zwarte Piet, ne soient pas grimés en Noirs. C’est-à-dire en caricature « raciste et coloniale ». M. le maire les a envoyés promener. Il connaissait les conséquences. Car quand les édiles refusent de leur obtempérer, leur village a droit à une visite de manifestants antiracistes chauffés à blanc. L’entrée en cortège du Saint préféré des Néerlandais, point de départ de festivités qui atteindront leur acmé le soir du 5 décembre, risque bien d’être gâchée. Le groupe d’action Kick Out (boutez dehors) Zwarte Piet – les antiracistes ont aussi une dent contre la langue néerlandaise – a dressé une liste de conditions auxquelles les villages doivent souscrire pour s’éviter une descente de leurs commandos.
Cahier des charges antiraciste
Sont interdits les visages des Zwarte Piet grimés entièrement en noir, comme les artistes blackface d’antan aux Etats-Unis. Le noir sur les visages est permis uniquement sous forme de ‘traces de suie’, laissées sur les visages des servants qui descendent les cheminées avec leurs cadeaux quand les enfants dorment… La distance entre les traits noirs doit être suffisamment large pour éviter toute allusion à une caricature raciste. Il est laissé à l’appréciation des inspecteurs d’établir si la distance est suffisante.
Ensuite, les Piet sont tenus de parler un neérlandais correct et ne pas se limiter à un sabir approximatif, comme de bons sauvages, ressemblant aux illustrations de Tintin au Congo. Les organisateurs des entrées du Saint homme, sur son cheval blanc, doivent également s’assurer que les valets noirs ne portent pas de boucles d’oreilles tapes-à-l’oeil censées renforcer un stéreotype raciste. Certains rappeurs apprécieront. La tenue correcte exigée des Zwarte Piet leur interdit également l’utilisation abondante de rouge à lèvres et de porter des perruques afros loufoques. Il est souhaitable, enfin, que les Piet soient de diverses origines, ce que les couleurs de peau et de cheveux doivent refléter, selon les consignes données aux édiles réfractaires.
A lire aussi: Pedro Sánchez détesterait-il l’Espagne?
Si des personnes de couleur pouvaient s’offusquer à juste titre de stéréotypes d’un autre âge, ceux-ci ont disparu au fil des ans. Dernièrement, les Piet, qui incluent aussi des femmes, sont des types délurés soutenant un Saint-Nicolas archétype du vieillard blanc, maladroit et étourdi. Et la gérontophobie, alors ? Ne reste que quelques Piet avec les visages totalement grimés en noir utilisés comme prétexte à bousiller des fêtes.
Milices de villageois contre militants antiracistes
C’est ainsi que le village de De Lier, au centre d’une région vouée à l’horticulture au sud de La Haye, vit débarquer trois cars remplis d’antiracistes. Ils se disent pacifiques, mais ont plus d’une fois perturbé les entrées de Saint-Nicolas et de ses valets jusque dans les villages les plus reculés. Tant pis pour les enfants. Qui ont parfois dû assister, angoissés et en pleurs, à des batailles entre les anti-racistes et des policiers. « Cette fête pour enfants ressemble parfois à un match de football à haut risque », observe un observateur du journal NRC. Dans d’autres cas, des « milices » villageoises s’en sont prises aux manifestants venus des grandes villes de l’ouest du pays. Villes « diverses » et donc acquises au culte de l’antiracisme, tout comme, d’ailleurs, l’audiovisuel public, le Premier ministre demissionaire M. Mark Rutte et la presse dite « de qualité ».
Si les provinciaux se sentent abandonnés, certains n’ont pas l’intention de se laisser faire. À De Lier, la police a su éviter une bagarre en se positionnant entre les professionnels de l’antiracisme et les bouseux prêts à les bouter dehors. Quand ces derniers aspergèrent leurs adversaires de pétards et d’engins fumigènes, et placèrent un conteneur de lisier en position offensive, la police les matraqua sans ménagement, tandis que d’autres raccompagnèrent les antiracistes vers leurs cars. Sous une pluie battante, les enfants de De Lier eurent droit un peu plus tard à l’entrée sans heurts du saint-homme et de ses valets, d’ailleurs pas tous grimés en noir.
A lire aussi: Pays-Bas: gueule de bois pour les sociaux-démocrates
L’année dernière, des jeunes de la petite ville de Staphorst, dans l’est du pays, avaient empêché des militants antiracistes de s’approcher à l’aide de barrages filtrants sur une route provinciale. Peu avant, des traditionalistes avaient coupé l’autoroute reliant la province de Hollande du Nord à celle de Frise, forçant un car plein de manifestants à rebrousser chemin vers Amsterdam.
Cause perdue
Les traditionalistes savent qu’ils se battent pour une cause perdue, bien que le triomphe électoral de Geert Wilders les ait requinqués. Il y a quelques années, son Parti pour la Liberté (PVV) avait proposé une loi régissant le caractère immuable de cet important personnage de la culture nationale. La loi n’a jamais vu le jour, mais sous un éventuel Premier ministre Wilders, la guerre culturelle sera exacerbée à chaque approche du 5 décembre. Dans son programme électoral, le PVV, propose de veiller au « respect des traditions néerlandaises », à commencer par la Saint-Nicolas. Le 22 novembre, pas moins de 2,3 millions de Néerlandais ont voté pour le PVV, qui occupe désormais 37 des 150 sièges de la Chambre basse du Parlement, de loin le groupe le plus important. Avec des apparentés, le PVV peut compter sur 41 soutiens.
Le temps presse, car pas plus d’une cinquantaine de petites villes et de villages résistent encore à Kick Out Zwarte Piet dont le dirigeant, fils d’immigrés ghanéens, a été condamné pour violence contre un policier. Si, de guerre lasse, les édiles cèdent, certains habitants organisent leur propre fête à l’ancienne. La discrétion est alors de mise, car les mouchards du camp adverse sont partout. Ce qui peut plomber les relations entre les habitants. Ainsi, dans un village près d’Amsterdam, un partisan de la tradition a vu sa fenêtre badigeonnée d’une croix gammée, et son voisin anti-raciste fut traité de collabo… Selon un récent sondage, seulement un Néerlandais sur trois est d’avis que Zwarte Piet doit rester noir. Pour Kick Out, c’est encore trop. Des militants du mouvement écologique Extinction Rebellion lui prêtent désormais main forte pour venir à bout des dernières poches de résistance.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !