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Jamais sans ma mère?

"Les damnés ne pleurent pas", de Fyzal Boulifa, le 26 juillet


Jamais sans ma mère?
"Les damnés ne pleurent pas" (2023) de Fyzal Boulifa © New Story

« Les damnés ne pleurent pas », le titre est trop beau pour être vrai: on dirait le nouveau James Bond. Il n’en est rien. 


Fyzal Boulifa, 38 ans, réalisateur anglais d’origine marocaine, l’a pompé, ce titre, sur celui d’un film noir de la Warner millésimé 1950, avec Joan Crawford en vedette : The Damned don’t cry. Rien à voir. Encore que. Si la superstar d’Hollywood est, en quelque sorte, ressuscitée ici, c’est sous les traits beaucoup moins photogéniques d’une matrone callipyge aux mèches décolorées, au visage plus fardé qu’une tarte aux fraises sous des lunettes solaires aux montures tape-à-l’œil, nippée, selon un certain goût maghrébin résolument inventif, d’atours aussi clinquants que possible. Flanquée de Selim, son fils de 17 ans, semi-analphabète mutique et bourru qu’elle charge, pour la route, de gros sacs de marché en guise de valises, la flamboyante Fatima-Zahra ébranle sa surcharge pondérale dans une équipée au nord du pays chérifien qui ressemble à une cavale. 

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Secret de famille

Le plus vieux métier du monde comporte des risques : un ancien « client » retrouvé en chemin, profitant d’une petite « promenade » à l’abri des regards, lui arrache son sac à main et s’empare des quelques bijoux qu’elle y serrait – sa seule fortune. Sans le sou, Fatima-Zahra et Selim trouvent provisoirement refuge au sein de la famille, à Tanger, le jour du mariage de la jeune Naïma et alors que nombre d’invités sont attendus dans la modeste maison. Vivante image de la lubricité, la femme prodigue n’y est manifestement pas tout à fait bienvenue…  Au détour d’une dispute surprise entre elle et sa sœur dévote, Selim comprend que, né de père inconnu, il est le fruit non désiré d’un viol, ce que sa mère s’employait à lui dissimuler depuis toujours, en lui laissant croire à la mort précoce de son géniteur. 

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C’est là le prologue d’une tragi-comédie peu complaisante envers l’état des mœurs au royaume du Maroc, assujettis aux préceptes de l’islam et aux préjugés d’une société soumise à la pesanteur de ses archaïsmes, mais contradictoirement fouaillés, dans le même temps, par une sécularisation importée de l’Occident, et par les mirages matériels véhiculés par le tourisme. Rien de bien neuf, en soi, dans ce constat. Sinon qu’en filigrane, ce hiatus trouve à s’incarner ici de façon aiguë dans la dérive de ces deux personnages et des comparses qui croisent leur route semée d’embûches. Fatima-Zahra, en quête d’une stabilité illusoire compte tenu de sa nature volage, immature et versatile, croit trouver l’âme-sœur dans la personne d’un chauffeur d’autobus qui, marié de longue date à une femme dépressive, lui propose d’assumer le rôle de seconde épouse, avant de se rétracter ; son fils Selim, de son côté, manipulé par une jeune canaille, est amené à se prostituer à son corps défendant, pour entrer in fine au service de son premier « client » (Antoine Reinartz), jeune patron français d’un joli riad transformé en très confortable maison d’hôtes… Le candide Selim en vient à s’éprendre de ce « chrétien » bonne pâte, avant de se sentir trahi lorsque surgit, en visite-surprise, le « mari » parisien de cet homosexuel assumé, et que le garçon du cru s’avise soudain n’avoir jamais été qu’une passade…

Un film soigné

Sobrement, sans afféterie, superbement dirigé, d’une écriture scénaristique aussi soignée que l’image du film (signée Caroline Champetier), qui plus est traversé d’une remarquable bande-son grinçante et désaccordée, ce road-movie de la détresse dépeint, sans en outrer jamais la pente mélodramatique, un état des lieux sociétal qui tient du naufrage. 
Cela dit, il n’est pas certain qu’un cinéaste autochtone vivant au Maroc pourrait s’autoriser un regard aussi cru : plus commode depuis le refuge de l’Angleterre où Fyzal Boulifa fait carrière…


Les damnés ne pleurent pas. Film de Fyzal Boulifa. Avec Antoine Reinartz, Aicha Tebbac, Abdellah El Hajouji. Durée : 1h51. En salles le 26 juillet 2023.



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