Les élections dites de midterm (mi-mandat) aux Etats-Unis sont rarement favorables au président en place, car elles interviennent dans une période où les électeurs s’aperçoivent que le dieu (ou le diable) qui a été porté à la Maison Blanche deux ans plus tôt est un mortel faillible comme vous et moi. Rappelons-nous Bill Clinton : élu triomphalement en 1992, il prend une claque sévère aux midterm de 1994… et se fait réélire dans un fauteuil en 1996.
On n’accordera donc qu’une valeur descriptive, et non pas prédictive, à ce relevé d’impressions recueillies sur place six semaines avant le vote du 2 novembre.
Ayant soigneusement évité d’arpenter les couloirs du Congrès à Washington, de frapper aux portes des salles de rédaction du New York Times ou de CNN, de solliciter les experts habituels de l’analyse fine et subtile de la vie politique américaine à l’usage de ces ignares de Français, je suis allé, comme on dit « sur le terrain ». Non pour illustrer l’adage des prétendus grands reporters albertlondrisés clamant, la main sur le cœur, que « seul le terrain ne ment pas », mais parce que j’aime l’Amérique des petites villes, des grands espaces, des bistrots au milieu de nulle part.
[access capability= »lire_inedits »]Cette fois-ci, j’ai sillonné le Far West, comme on disait quand j’étais enfant et qu’Yves Montand nous bourrait le mou en chantant « Dans les plaines du Far West quand vient la nuit… ». En fait de plaines, ce sont essentiellement des montagnes dont la hauteur et la beauté rivalisent sans peine avec celles du lieu de ma résidence habituelle.
La magie Obama ne fera pas de miracle le 2 novembre
Comme tous les Américains, les habitants de ces régions reculées sont appelés aux urnes, et cela se voit au bord des routes avec une floraison de panneaux invitant les passants à apporter leurs suffrages à Jim Machin, Willy Dugenou ou Alicia McMiche qui rêvent de devenir député, sénateur, ou plus modestement shériff ou procureur du comté. Dès qu’on ouvre la télé, on est abreuvé de spots vantant les mérites de ces candidats ou dénonçant les turpitudes de leurs adversaires, car la publicité négative (la plus marrante pour les observateurs extérieurs) est une des spécialités de la culture démocratique des Etats-Unis. Une voix lugubre commente des images en noir et blanc montrant le concurrent dans des poses désavantageuses et fait la liste de ses turpitudes : promesses non tenues, fraude fiscale, vie privée agitée… rien ne lui sera épargné. Et il suffit de zapper pour voir que le candidat étrillé ne se prive pas de rendre la politesse à son adversaire.
À l’issue de deux semaines de tribulations dans le Colorado, le Nouveau-Mexique, l’Arizona, et l’Utah avec le nez en l’air, les yeux et les oreilles grands ouverts, il ne fait pas de doute que la magie Obama ne fera pas de miracle le 2 novembre. Même ses partisans les plus fidèles, ces liberals (intellectuels de gauche) qui animent souvent la vie culturelle des villes petites et moyennes, n’ont plus la pêche de l’élection présidentielle de 2008.
En fait, ils sont partagés entre leurs idéaux progressistes les amenant à soutenir le grand projet présidentiel d’extension au plus grand nombre de la Sécurité sociale et le fait d’avoir, en tant que classe moyenne, à en supporter le coût. Quant à ces mêmes membres des classes moyennes qui ne partagent pas la philosophie sociale des liberals, ils sont carrément furieux et vont se défouler aux meetings du « Tea Party » et faire une ovation à sa figure emblématique, Sarah Palin.
Quel que soit le résultat final des midterm, même si les démocrates parviennent, à l’arraché, à conserver une courte majorité au Sénat, dont seul le tiers des sièges est renouvelé, cette campagne a installé le mouvement Tea Party et Sarah Palin au cœur du dispositif de l’élection présidentielle de 2012. Le Tea Party doit son nom à un épisode fameux de la révolution américaine, en 1773, au cours duquel les colons américains de Boston jetèrent dans le port les cargaisons de thé des navires britanniques pour protester contre la taxation trop élevée de ce breuvage par la Couronne. Ce mouvement est parvenu à cristalliser par des méthodes modernes (réseaux sociaux, buzz internet etc.) tous les mécontents de la politique de la Maison Blanche et a réussi à décloisonner les diverses chapelles conservatrices. Les « libertariens » moralement laxistes y côtoient les évangéliques rigoristes, et les artisans, petits commerçants, gens du small business se retrouvent dans le Tea Party en compagnie de notables bien nantis qui croient qu’Obama conduit la nation américaine vers le communisme…
Moquée au début, y compris dans l’establishment républicain, Sarah Palin s’est révélée une redoutable tacticienne en abandonnant son poste de gouverneur de l’Alaska pour faire surgir le Tea Party Movement à l’échelle nationale. Et cela a payé : dans de nombreux Etats, les hommes et les femmes qu’elle a soutenus l’ont emporté lors des primaires républicaines pour les candidatures à la Chambre et au Sénat et pour des postes de gouverneur. La plus spectaculaire de ces victoires s’est produite dans le Delaware, où une jeune femme de 32 ans, Christine O’Donnell, une excitée favorable à la chasteté avant le mariage, a balayé Mike Castell, un républicain modéré, gouverneur de l’Etat et aspirant à la succession au Sénat du vice-président Joe Biden.
Certes, parmi les gens investis par le Tea Party, on trouve quelques hurluberlus comme cette Sharron Angle, candidate dans le Nevada contre Harry Reid, le président démocrate du Sénat, qui veut supprimer le département (ministère) de l’éducation et privatiser la Sécurité sociale. Sarah Palin, cependant, se garde bien de sortir du discours conservateur mainstream : moins d’Etat, moins d’impôts, retour aux reaganomics qui firent merveille dans les années 1980.
Aujourd’hui, l’appareil démocrate a bien conscience qu’il est trop tard pour renvoyer les gens du Tea Party dans l’enfer de l’extrémisme hors du réel sociétal. Alors qu’ils avaient misé, au départ, sur la « localisation » de cette campagne électorale, en la purgeant au maximum des querelles nationales, l’omniprésence médiatique de Sarah Palin et de ses affidés contraint la Maison Blanche à mettre les mains dans le cambouis pour limiter les dégâts. Obama, qui se réservait jusque-là pour les affaires du monde, va reprendre du service en allant se montrer dans des Etats où l’issue est incertaine : Wisconsin, Pennsylvanie, Colorado.
Pour 2012, il semble que Sarah Palin ait marqué des points importants, sinon décisifs pour décrocher l’investiture républicaine à la candidature présidentielle. Quant à Barack Obama, il lui faut absolument se « recentrer », sortir de l’image de gauchiste irresponsable, dépensier et étatiste que ses adversaires ont réussi à imposer à une bonne partie de l’opinion. Pour lui, ce sera moins facile que pour Bill Clinton, dont la plasticité idéologique était légendaire. Dès les élections passées, on verra de nouvelles têtes à la Maison Blanche : après le départ du gourou économique Larry Summers, retourné à Harvard, c’est le Guéant local, Rahm Emanuel, qui devrait s’en aller à la conquête de la mairie de Chicago. Obama contre Palin, c’est l’affiche de ces deux prochaines années politiques aux Etats-Unis, avec le monde comme spectateur d’un combat qui ne devrait pas être trop ennuyeux.[/access]
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