Les Collégiens se reforment pour rendre hommage à Ray Ventura et à Sacha Distel
Sacha, c’était un mirage poli des Trente Glorieuses, le temps béni des sucreries musicales. Oh oui, c’était la belle vie ! Gentil, charmeur, guitare en bandoulière, il débarquait dans la télé des Carpentier ou à la BBC, sourire aux lèvres, crooner à la voix de velours, dans un nuage de paillettes et de bonne humeur. Sur scène, il portait le smoking à gros nœud papillon rouge. En ville, pudique, il enfilait ces blousons en suédine sur des pulls en shetland qu’affectionnait tant la jeunesse dorée d’alors.
Echappé de la « Bande du Drugstore », il portait sur le visage les stigmates de sa génération : le refus des engagements et l’amour comme sauf-conduit. Le sentimentalisme n’était pas encore cette maladie honteuse des sociétés dites avancées. Il roulait en Porsche 356 et plaisait aux mères de famille. Il aimait les belles filles à fossettes et les accords compliqués. Ne riez pas ! Ne vous moquez pas ! Ne vous méprenez pas ! Le cynisme n’est que l’habit des pleutres, le masque des faibles. Nous souffrons de tous ces ricaneurs qui salissent la beauté d’un baiser arraché aux pesanteurs d’une époque incertaine. Il en fallait du courage pour refuser l’acrimonie, fuir les ennuyeux et chanter l’amour avec sincérité.
Le dandy désengagé
Sur une bossa langoureuse ou un jazz percutant, Sacha Distel (1933-2004) distillait la douceur d’une rencontre, à l’orée des possibles. Il ne promettait rien d’autre que l’effleurement des peaux moites, un soir d’été, et l’emballement des cœurs à l’unisson. En ce temps-là, tous les chanteurs n’avaient pas la prétention de nous guider vers les urnes ou de penser à notre place. Ils n’étaient pas tous des agents instructeurs, Sacha se tenait à bonne distance des postures indignes. Il préférait évoquer dans ses chansons, les petites meurtrissures du quotidien et les errements de nos vingt ans.
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Aujourd’hui, avec le recul, son message nous apparaît encore plus lumineux, tendre, désintéressé et sensible, tout le contraire de la victimisation permanente qui nous assaille. La variété française fut certainement le plus puissant vecteur du « vivre ensemble ». Quand on (ré)écoute Sacha, on est saisi par la chaleur de son timbre, intact de pureté, la science de son harmonie et l’absence de trucage. Il ne posait pas. Il n’ironisait pas. Il pressait la pulpe des amours impossibles. On rit de certaines paroles désuètes et puis, on est chaviré par une émotion soudaine comme si ce musicien hors-pair, avec peu d’effet et beaucoup de talent, avait réussi à capter une indicible mélancolie. Les philosophes peuvent se rhabiller avec leur quincaille idéologique, ils manquent de doigté et d’horizon, de liberté et d’audace, ils passent à côté de l’essentiel. Avec presque rien, Sacha touche l’insondable friabilité des sentiments. Comment avons-nous pu le snober à ce point et le reléguer à un rôle de chanteur à l’eau de rose ?
À l’école de Ray Ventura
C’est impardonnable. La sortie récente d’une compilation enregistrée par les Collégiens vient combler cette injustice. Il faut absolument réentendre tout le répertoire de Sacha pour se souvenir enfin. « Une maison en France » vous cueille en pleine pandémie et votre mémoire se met à tournoyer. Celui qui se considérait comme « un noir américain » était à la fois l’héritier de Maurice Chevalier et le disciple d’Henri Salvador, le frère jumeau de Quincy Jones et d’Eddie Barclay. Il découvrit l’Amérique très tôt, dès le début des années 1950, et fut happé par l’arrivée de ces sons nouveaux.
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Formé par son oncle, Ray Ventura, il impressionnait par sa virtuosité et son sens de la partition. Les vedettes se battaient pour l’avoir comme accompagnateur. Chanteur adulé et amoureux éconduit, ses unions avec Juliette Gréco, Jeanne Moreau ou Brigitte Bardot le laissèrent sur le flanc, avant qu’il ne rencontre son épouse Francine, skieuse émérite et pilier du foyer. Son ami Jean-Jacques Debout se souvient dans son autobiographie Ma vie à dormir debout que même Marlène Dietrich s’était déclarée prête à lui préparer un pot-au-feu. Avec Sacha, la vie ressemblait à un roman de Sagan.
Notre meilleur ambassadeur
Longtemps, les petites Anglaises ne connurent de la France que sa silhouette élégante. Il fut notre meilleur ambassadeur, sans le savoir, il préparait nos futurs voyages scolaires. Si vous doutez encore de son pouvoir d’attraction, Sacha a laissé dans les archives de la télévision des duos mémorables avec Dionne Warwick, Esther Phillips, Dalida ou Liza Minelli. Et que dire de son disque avec Joanna Shimkus. La grâce ne s’explique pas, avec Sacha, elle s’imposait naturellement.
CD – Les Collégiens – Hommage à Ray Ventura & Sacha Distel – Avec les voix de Charlotte Perrin et Franck Sitbon
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