Le critique littéraire a fiché les écrivains français du XXème siècle qu’on lira encore en 2100
Avant la déferlante numérique, les volumes du Lagarde et Michard trônaient dans toutes les chambres d’écoliers, bien disposés, bien alignés, sur une étagère parfois fragile supportant le poids de tout ce savoir livresque, coincés entre les albums de « Tintin » et la collection Folio du « petit Nicolas », c’est ainsi que la littérature se propageait au royaume de France, dans presque toutes les classes sociales et jusque dans les provinces les plus éloignées de la capitale. Désormais, Bernard Morlino, écrivain footeux et critique niçois, compagnon de route du sire Cérésa dans Service Littéraire et preux chevalier du roman-cathédrale refait le match en sélectionnant 100 écrivains français du XXème siècle, ayant publié entre le 1er janvier 1901 et le 31 décembre 2000 dans un recueil intitulé Les cent qui restent aux éditions Écriture, ce qui explique l’absence de l’immense Jules Renard.
Une liste arbitraire
Chers amis lecteurs, gardez votre calme, nous sommes déjà sur la défensive, jugeant sévèrement l’arbitraire de ce fichier national et soulignant avec gourmandise ses probables manques ou approximations. Quand il s’agit de nos auteurs fétiches, nous perdons la boule, nous déraillons, pourquoi celui-ci et pas celui-là, il est acquis que nos goûts divins en la matière priment sur les masses mal-pensantes. Rassurez-vous, nous sommes en famille, en confiance, Morlino a du palais et de l’odorat, il flaire de loin les imitateurs et dégomme les fausses gloires avec un sens du tacle souverain. Son bottin des lettres est solide, bien charpenté, girond souvent, pas du tout mondain, il donne faim et soif, il pique notre curiosité et confirme souvent nos intuitions. Cet honnête homme s’intéresse seulement aux écrivains qui ont du jarret et de la cervelle ; les chichiteux, les ultra-médiatiques, les faiseurs et les précieux n’ont pas leur place dans ce guide du savoir-écrire. « J’ai retenu les auteurs dotés d’un style particulier et d’une vision du monde. Il fallait aussi qu’ils aient apporté de la nouveauté dans le fond et non seulement dans la forme » avertit-il, dès son introduction. Choix cornélien, subjectivité suspecte, vieille coterie à la manœuvre, réseautage puéril, dès que l’on classe les plumitifs, on rejette et donc, on avance son opinion, sa ligne éditoriale, ce n’est pas un gros mot. La liberté d’opinion est ce qui reste aux critiques non affidés à une quelconque maison ou administration. Par avance, connaissant la susceptibilité de ses futurs acheteurs, Morlino prévient que certains absents n’ont pas toujours tort. « Il n’y a pas non plus (dans ce mémorandum) les écrivains que l’on dit mineurs mais qui sont formidables : Henri Calet, Emmanuel Bove, Pierre Herbart, Marc Bernard, Henry de Monfreid, André Dhôtel, Jacques Perret… », il s’en désole et on l’absout.
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Ne pinaillons pas, l’essentiel y est ! Nous regrettons que nos petits chéris, Paul Guimard, Jean Freustié, Michel Mohrt, Christine de Rivoyre, René Fallet ou André Hardellet (faute presque impardonnable) soient passés à la trappe.
Sinon, on se régale, on est à la parade et on monte avec un immense plaisir dans son tortillard du XXème. D’abord, parce que Morlino sait écrire, son toucher de plume est arrivé à parfaite maturité, en deux pages, il croque, il saisit, il sale, il poivre, il donne envie de replonger, par exemple, dans l’œuvre de Valery Larbaud. « Tous ceux qui le lisent ne peuvent plus s’en passer, séduit par son art de la confidence ». On opine du chef et on en redemande. Remettez-nous-en encore un chef Morlino ! Il n’a pas oublié Cossery qu’il élève au rang de Prince Albert. « Le romancier est devenu culte dès lors qu’il renonça à écrire » souligne-t-il, avec malice. Et il dresse un portrait enchanteur d’Alphonse Boudard, le replaçant à sa juste valeur sur l’échiquier des lettres, loin des raccourcis argotiques et sabreurs, « il était un moraliste qui haïssait le narcissisme contemporain » écrit-il.
Une nouvelle bible
Les deux figures tutélaires de ma jeunesse, Albert Simonin et Alexandre Vialatte, ont belle allure sous la prose de Morlino. Mes vielles badernes de Léon-Paul Fargue, Jules Romains et Sacha Guitry font évidemment partie du voyage. Les femmes ne manquent pas à l’appel, Sagan pointe sa frimousse au volant de son Aston, Colette fait tinter ses casseroles en cuivre et Despentes brandit sa verdeur punk. Et les sommités, les commandeurs, les intouchables : Barrès, Beckett, Céline, Cioran, Drieu, Giono, Morand, Proust ou Simenon font la queuleuleu sans Bézu mais avec Henri Béraud, le flâneur salarié et sous le regard distant de Georges Perros qui préfère rouler à moto du côté de Douarnenez.
En refermant cette nouvelle bible des bibliothèques, on se dit que Morlino est le précepteur rêvé qui manque à la jeunesse de France, pour la sortir des impasses identitaires et victimaires.
Les cent qui restent de Bernard Morlino – Écriture, 420 pages
Les cent qui restent: 100 écrivains français du XXe siècle qu'on lira encore en 2100
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