Elisabeth Levy. Je le redis ici, des fois qu’on continuerait à te chercher noise : tu n’as pas signé le Manifeste des 343 salauds et je te réitère mes excuses pour avoir, dans le feu d’une conversation amicale, pris ton amusement pour un acquiescement. Mais finalement, je ne sais même pas pourquoi tu as refusé d’être un « salaud ». Alors profitons de ce malentendu pour tirer notre désaccord au clair.
Daniel Leconte.D’abord, je signe rarement des pétitions et, quand je le fais, je choisis ce que je signe en fonction de mes convictions. Celle-là n’en est pas une, en tout cas dans cette période, ce n’est pas une priorité pour moi. Quand bien même, d’ailleurs, cela l’aurait été, je ne l’aurais pas signée parce que je ne suis pas d’accord.[access capability= »lire_inedits »] D’abord sur la question du « Manifeste des 343 salauds » : je reconnais que c’est spectaculaire pour attirer l’attention et titiller vos adversaires idéologiques mais c’est anachronique, inutilement provoquant donc contre-productif. Ensuite, et surtout, sur le titre : « Touche pas à ma pute ». J’entends bien là encore que votre façon de surfer sur les souvenirs de la génération « Touche pas à mon pote » pour, au fond, viser les mêmes cibles. Mais pour le plaisir d’un bon mot, on ne sacrifie pas le sens. 343 mecs qui disent « Touche pas à ma pute », c’est au mieux un langage de « client », au pire un langage de maquereau. Je ne suis ni l’un ni l’autre. Pour résumer donc, je persiste et ne signe toujours pas…
Oublions ce titre qui t’a déplu (et dont je persiste à dire qu’il n’était pas plus possessif et moins empathique que « touche pas à mon pote »). Mais ce qui a rendu dingue beaucoup de gens, c’est la position que nous défendons sur le fond. Or, tu m’as raconté que, dans tes années gauchistes, tu avais participé à des joyeux mouvements de défense des prostituées. Aujourd’hui, même Serge July nous tombe dessus. Que s’est-il passé ?
Je ne me souviens pas t’avoir dit que j’ai participé à ce mouvement. Je t’ai dit que Libération, où je travaillais à l’époque, avait soutenu les prostituées victimes de contraventions pour racolage sur la voie publique, si ma mémoire est fidèle. C’était une manière de souligner que les anciens gauchistes qui flirtent aujourd’hui avec les ligues de vertu, et même les anciennes féministes, devraient eux aussi montrer un peu plus de retenue et se souvenir que, dans ces années-là, ils militaient contre l’ordre moral. Se souvenir aussi qu’ils allaient assez loin au nom de la libération sexuelle. Cela mérite au minimum une petite autocritique avant de montrer les dents.
J’ai été sidérée par l’ampleur et la violence des invectives, donc par le faible niveau d’argumentation. Tu as souvent été toi-même au centre de polémiques de la même eau, avec tes films sur les banlieues, l’antisémitisme ou le complotisme. Es-tu devenu plus prudent dans tes interventions publiques ? Y-a-t-il des sujets dont tu ne t’approcheras plus ?
J’ai été aussi surpris par le volume (dans les deux sens du terme) des réactions. Mais je te le répète : vous avez fait des amalgames et même des fautes de sens qui ont contribué à cette montée aux extrêmes verbale. Les affaires dont tu parles et qui me concernaient directement sont très différentes. Elles ne relèvent pas de la même chose. En l’occurrence, il ne s’agissait pas d’une réplique brutale à l’affirmation d’une opinion, comme dans le cas de votre pétition, mais de déni du réel de la part de mes contradicteurs. Opinion contre opinion, on peut regretter les invectives, mais au moins sait-on à l’avance qu’on a de grandes chances d’en essuyer quelques-unes. Et après tout, la polémique et une certaine dose d’agressivité font aussi partie du débat contradictoire. Zapper le réel me paraît beaucoup plus grave. En effet, face à certaines réalités qui contredisent leur idéologie rudimentaire, des journalistes militants prétendent nous empêcher de regarder le monde tel qu’il est.
Et quand ils ne peuvent pas le faire, ils flinguent, à l’ancienne, en reprenant les vieux procédés « staliniens » : déformer les propos et salir les personnes pour faire écran au réel. Par expérience, j’ai donc toujours essayé de traiter ces questions de façon prudente et documentée. Mais j’ai constaté qu’aujourd’hui, cela ne change rien : ni les faits, ni les chiffres, ni les preuves ne sont pris en compte. Alors oui, je reconnais que les censeurs ont en partie atteint leur but. Certains journalistes, dont je fais partie, y regardent maintenant à deux fois avant de se lancer dans le traitement de certains sujets sensibles. S’ils passent outre, au mieux ils sont sous surveillance, au pire ils ont de moins en moins d’espaces de liberté pour exprimer leurs points de vue. Le procédé est insidieux : la peur d’être rendu inaudible par le battage médiatico-militant peut conduire à une forme d’autocensure. Le danger, c’est un recul du droit à l’information, donc de la liberté d’expression et du pluralisme. Combien de temps cela va-t-il durer ? Je n’en sais rien. Aussi longtemps en tout cas que les esprits libres n’auront pas repris le dessus dans le monde médiatique.[/access]
*Photo: WENN/SIPA. SIPAUSA31065669_000002.
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