Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais les 20 et 27 mars prochain, il va y avoir des élections. Des élections cantonales. On n’en parle pas tellement, des élections cantonales, je trouve…
On est beaucoup plus préoccupé par les aventures aéronautiques et maghrébines de nos excellences. Ou par les oracles d’Anne Sinclair sur les envies de son banquier mondial de mari de ne pas remettre le couvert au FMI pour se présenter aux élections présidentielles, les vraies, les sérieuses, celles de 2012, histoire de continuer à faire perdre la gauche en courant après le centre, voire le centre-droit.
Les cantonales, on n’en parle pas parce que si on daignait en parler, on dirait des choses désagréables à entendre.
On dirait qu’elles sont, à un peu plus d’un an des présidentielles, l’occasion de battre une quatrième fois Sarkozy et l’UMP qui, rappelons-le, ont été rigoureusement incapables de gagner les trois précédentes élections intermédiaires et ont même essuyé des Fort Chabrol électoraux : les municipales de 2008, les européennes de 2009 et les régionales de 2010. Tout cela sans en tirer la moindre conséquence dans l’orientation de leur politique, ce qui dans une démocratie théoriquement moderne est assez unique en son genre. Mais enfin, voir une quatrième fois Frédéric Lefèvre expliquer sur les plateaux de télévision du dimanche 27 mars au soir que s’il n’a pas gagné, il n’a pas perdu non plus, le tout avec la syntaxe d’un télémarketeur et un vocabulaire de cinquante mots, cela fait partie des plaisirs qui ne se refusent pas.
Les cantonales, si on daignait en parler, on dirait peut-être aussi que c’est la dernière fois qu’elles auront lieu. La réforme territoriale qui a finalement été votée par le Sénat a prévu un conseiller unique, qui, dès mars 2014, siègera à la fois au Conseil général et au conseil régional.
Les cantonales, si on daignait en parler, rappelleraient que le département est visiblement l’échelon qui gêne. Seule la Région trouve grâce aux yeux de l’Union Européenne. Elle se sentirait bien plus à l’aise, l’UE, pour gouverner et imposer sa politique économique avec une kyrielle de grosses principautés plutôt qu’avec les vieux Etats-nations beaucoup moins maniables, surtout la France qui a encore, malgré tout, quelques beaux restes jacobins qui font cauchemarder du côté de Bruxelles. Les cantonales rappelleraient aussi que la réforme territoriale, c’est la mort programmée du département, accompagnée de petites infamies anodines comme le changement des plaques d’immatriculation. Le diable européiste sait bien se nicher dans ce genre de détails, comme dans les règlements hygiénistes sur le fromage et l’andouillette.
Si on parlait des cantonales, on se rappellerait sans doute que le département fait partie de l’ADN de la République, qu’il fut créé dès la fin 1789, pour en finir avec les féodalités provinciales et surtout pour rapprocher la décision administrative et politique du citoyen, puisque selon la belle définition qu’en donna le décret de l’Assemblée Constituante, il était taillé géographiquement de manière à ce qu’aucun Français ne se trouve à plus d’une journée de voyage du chef-lieu.
Cela remettrait quelques petites vérités gênantes sur la décentralisation au goût du jour qui, pour l’essentiel, consiste désormais à appeler des transferts de déficits transferts de compétences vers les collectivités locales. Les riches ont un bouclier fiscal; le département, lui, c’est le bouclier social des pauvres : le RSA, les handicapés, les personnes âgées, l’aide au logement, l’insertion professionnelle font partie de sa compétence. Inutile de dire que ce ne sont pas franchement les soucis du pouvoir actuel qui préfère les lois de circonstance, moins onéreuses pour le budget et potentiellement rentables électoralement. Inutile de dire, également, que faire face à de telles responsabilités, c’est un peu plus compliqué dans le Nord ou la Seine Saint-Denis que dans les Yvelines ou les Alpes Maritimes. Mais, comme par hasard, on vote davantage dans les Yvelines et les Alpes Maritimes. Les pauvres ont tendance à s’auto-exclure des scrutins nationaux, alors un scrutin local dont on ne parle pas à la télé, imaginez un peu…
Si on daignait en parler, des cantonales, on saurait que des présidents de Conseils généraux de plus en plus nombreux portent plainte contre l’Etat qui n’a pas accompagné ces transferts de charges et doit par exemple la bagatelle de 900 millions d’euros au Pas de Calais, département connu pour son haut niveau de vie.
Mais on ne daignera pas parler des cantonales. D’abord Paris ne vote pas pour ce truc de pouilleux et ça ne va concerner que la moitié des circonscriptions. Une petite élection de rien du tout, on vous dit.
Ou alors, on en parlera une semaine avant. Pour dire, avec une logique imparable, que ça n’intéresse personne puisque personne n’en parle, que l’abstention va être record, et que donc, les gens n’en ont rien à faire du département, ce qui prouve bien à quel point la réforme territoriale est belle et bonne et qu’il est plus que temps d’en finir avec le « millefeuille » administratif, comme ils disent.
Pourtant, le millefeuille, c’est nourrissant. Surtout pour ceux qui sont privés de dessert.
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